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Le loup garou

Loup garou

[…]

Le pauvre Joachim Crête, l’était pas assez, lui, craignant de Dieu.

C’est pas qu’il était un ben méchant homme, non ; mais il était comme j’en connais encore de nos jours : y pensait au bon Dieu et à la religion quand il avait du temps de reste. Ça, ça porte personne en route.

Il aurait pas trigaudé un chat d’une cope, j’cré ben ; y faisait son carême et ses vendredis comme père et mère, à c’qu’on disait. Mais y se rendait à ses dévotions ben juste une fois par année ; y faisait des clins d’yeux gouailleurs quand on parlait de la quête de l’Enfant-Jésus devant lui : et pi, dame, il aimait assez la goutte pour se coucher rond tous les samedis au soir, sans s’occuper si son moulin allait marcher sus le dimanche ou sus la semaine.

Parce qu’il faut vous dire, les enfants, que Joachim Crête avait un moulin, un moulin à farine, dans la concession de Beauséjour, sus la petite rivière qu’on appelle la Rigole.

C’était pas le moulin de Lachine, si vous voulez ; c’était pas non plus un moulin de seigneurie ; mais il allait tout de même, et moulait son grain de blé et d’orge tout comme un autre.

Il me semble de le voir encore, le petit moulin tout à côté du chemin du roi. Quand on marchait pour not’ première communion, on manquait jamais d’y arrêter en passant, pour se reposer.

C’est là que j’ai connu le pauvre malheureux : un homme dans la quarantaine qu’haïssait pas à lutiner les fillettes, soit dit sans médisance.

Comme il était garçon, y s’était créé un cambuse dans son moulin, où c’qu’il vivait un peu comme un ours, avec un engagé du nom de Hubert Sauvageau, un individu qu’avait voyagé dans les Hauts, qu’avait été sus les cages, qu’avait couru la prétentaine un peu de tout bord et de tout côté, où c’que c’était ben clair qu’il avait appris rien de bon.

Comment c’qu’il était venu s’échouer à Saint-Antoine après avoir roulé comme ça ? On l’a jamais su. Tout c’que je peux vous dire, c’est que si Joachim Crête était pas c’que y avait de plus dévotieux dans la paroisse, c’était pas son engagé qui pouvait y en remontrer sus les principes comme on dit.

L’individu avait pas plus de religion qu’un chien, sus vot’ respèque. Jamais on voyait sa corporence à la messe ; jamais il ôtait son chapeau devant le Calvaire ; c’est toute si y saluait le curé du bout des doigts quand y le rencontrait sus la route. Enfin, c’était un homme qu’était dans les langages, ben gros.

- De quoi c’que ça me fait tout ça ? disait Joachim Crête, quand on y en parlait ; c’est un bon travaillant qui chenique pas sus l’ouvrage, qu’est fiable, qu’est sobre comme moi, qui mange pas plusse qu’un autre, et qui fait la partie de dames pour me désennuyer : j’en trouverais pas un autre pour faire mieux ma besogne quand même qu’y s’userait les genoux du matin au soir à faire le Chemin de la Croix.

Comme on le voit, Joachim Crête était un joueur de dames : et si quéqu’un avait jamais gagné une partie de polonaise avec lui, y avait personne dans la paroisse qui pouvait se vanter de y avoir vu faire queuque chose de pas propre sus le damier.

Mais faut aussi que le Sauvageau était pas loin de l’accoter, parce que - surtout quand le meunier avait remonté de la ville dans la journée avec une cruche - ceux qui passaient le soir devant le moulin les entendaient crier à tue-tête chacun leur tour : -Dame ! –Mange ! –Soufflé ! -Franc-coin ! -Partie nulle !... Et ainsi de suite, que c’était comme une vraie rage d’ambition.

Mais arrivons à l’aventure que vous m’avez demandé de vous raconter.

Ce soir-là, c’était la veille de Noël, et Joachim Crête était revenu de Québec pas mal lancé, et – faut pas demander ça – avec un beau stock de provisions dans le coffre de sa carriole pour les fêtes.

La gaieté était dans le moulin.

Mon grand-oncle, le bonhomme José Corriveau, qu’avait une pochetée de grain à faire moudre, y était entré sus le soir, et avait dit à Joachim Crête :

- Tu viens à la messe de Mênuit sans doute ?

Un petit éclat de rire sec y avait répondu. C’était Hubert Sauvageau qu’entrait, et qu’allait s’assire dans un coin, en allumant son bougon.

- On voira ça, on voira ça ! qu’y dit.

- Pas de blague, la jeunesse ! avait ajouté bonhomme Corriveau en sortant : la messe de Mênuit, ça doit pas se manquer, ça.

Puis il était partit, son fouet à la main.

- Ha !ha ! ha !... avait ricané Sauvageau ; on va d’abord jouer une partie de dames, monsieur Joachim, c’pas ?

- Dix, si tu veux, mon vieux ; mais faut prendre un coup premièrement, avait répondu le meunier.

Et la ribote avait commencé.

Quand ça vint sur les onze heures, un voisin, un nommé Vincent Dubé, cogna à la porte :

- Coute donc, Joachim, qu’y dit, si tu veux une place dans mon berlot pour aller à la messe de Mênuit, gêne-toi pas : je suis tout seul avec ma vieille.

- Merci, j’ai ma guevale, répondit Joachim Crête.

- Vont-y nous ficher patience avec leux messe de Mênuit ! s’écria le Sauvageau, quand la porte fut fermée.

- Prenons un coup ! dit le meunier.

Et avant la pintochade, avec le jeu de dames !

Les gens qui passaient en voiture ou à pied se rendant à l’église se disaient :

- Tiens, le moulin de Joachim Crête marche encore : faut qu’il ait gros de farine à moudre.

- Je peux pas craire qu’il va travailler comme ça sus le saint jour de Noël.

- Il en est capable.

- Oui, surtout si son Sauvageau s’en mêle…

Ainsi de suite.

Et le moulin tournait toujours, la partie de dames s’arrêtait pas ! Et la brosse allait son train.

Une santé attendait pas l’autre.

Queuqu’un alla cogner à la fenêtre :

- Holà ! vous autres ; y s’en va mênuit. V’là le dernier coup de la messe qui sonne. C’est pas bien chrétien, c’que vous faites là.

Deux voix répondirent :

- Allez au sacre ! et laissez-nous tranquilles !

Les derniers passants disparurent. Et le moulin marchait toujours.

Comme il faisait un beau temps sec, on entendait le tic-tac de loin ; et les bonnes gens faisaient le signe de la croix en s’éloignant.

Quoique l’église fut à ben proche d’une demi-lieue du moulin, les sons de la cloche y arrivaient tout à clair.

Quand il entendit le tinton, Joachim Crête eut comme une espèce de remords :

- V’là mênuit, qu’y dit, si on levait la vanne…

- Voyons, voyons, faites donc pas la poule mouillée, hein ! que dit le Sauvageau. Tenez, prenons un coup et après ça je vous fais gratter.

- Ah ! quant à ça, par exemple, t’es pas bletté pour, mon jeune homme !... Sers-toi, et à ta santé !

- A la vôtre, monsieur Joachim !

Ils n’avaient pas remis les tombleurs sus la table que le dernier coup de cloche passait sus le moulin comme un soupir dans le vent.

Ca fut plus vite que la pensée… crac ! v’là le moulin arrêté net, comme si le tonnerre y avait cassé la mécanique. On aurait pu entendre marcher une souris.

- Quoi c’que ça veut dire, c’te affaire-là ? que s’écrie Joachim Crête.

- Queuques joueurs de tours, c’est sûr ! que fit l’engagé.

- Allons voir c’que y a, vite !

On allume un fanal, et v’là nos deux joueurs de dames partis en chambranlant du côté de la grand’roue. Mais ils eurent beau chercher et fureter dans tous les coins et racoins, tout était correct ; y avait rien de dérangé.

- Y a du sorcier là-dedans ! qu’y dirent en se grattant l’oreille.

Enfin, la machine fut remise en marche, on graissit les mouvements, et nos deux fêtards s’en revinrent en baraudant reprendre leux partie de dames – en commançant par reprendre un coup d’abord, ce qui va sans dire.

- Salut, Hubert !

- C’est tant seulement, monsieur Joachim…

Mais les verres étaient à peine vidés que les deux se mirent à se regarder tout ébarouis. Y avait de quoi : ils étaient soûls comme des barriques d’abord, et puis le moulin était encore arrêté.

- Faut que des maudits aient jetés des cailloux dans les moulanges, balbutia Joachim Crête.

- Je veux que le gripette me torde le cou, baragouina l’engagé, si on trouve pas c’qu’en est, c’te fois-citte !

Et v’là nos deux ivrognes, le fanal à la main, à rôder tout partout dans le moulin, en butant pi trébuchant sus tout c’qu’y rencontraient.

Va te faire fiche ! y avait rien, ni dans les moulanges ni ailleurs.

On fit repartir la machine ; mais ouichte, un demi-tour de roue, et pi crac !... pas d’affaires : ça voulait pas aller.

- Que le diable emporte la boutique ! vociféra Joachim Crête. Allons-nous en !

Un juron de païen lui coupa la parole. Hubert Sauvageau, qui s’était accroché les jambes dans queuque chose, manquable, venait de s'élonger sus le pavé comme une bête morte.

Le fanal, qu’il avait dans la main, était éteindu mort comme de raison ; de sorte qu’y faisait noir comme chez le loup : et Joachim Crête, qu’avait pas trop à faire que de se piloter tout seul, s’inventionna pas d’aller porter secours à son engagé.

- Que le pendard se débrouille comme y pourra ! qu’y dit, moi j’vas prendre un coup.

Et, à la lueur de la chandelle qui reluisait de loin par la porte ouverte, il réussit, de Dieu et de grâce, et après bien des zigzags, à se faufiler dans la cambuse, où c’qu’il entra sans refermer la porte par derrière lui, à seule fin de donner une chance au Sauvageau d’en faire autant.

Quand il eut passé le seuil, y piqua tout dret sus la table où c’qu’étaient les flacons, vous comprenez bien ; et il était en frais de se verser une gobe en swignant sus ses hanches, lorsqu’il entendit derrière lui comme manière de gémissement.

- Bon, c’est toi ? qu’y dit sans se revirer ; arrive c’est le temps.

Pour toute réponse, il entendit une nouvelle plainte, un peu plus forte que l’autre.

- Quoi c’que y a !... T’es-tu fait mal ?... Viens prendre un coup, ça te remettra.

Mais bougez pas, personne venait n’y répondait.

Joachim Crête, tout surpris, se revire en mettant son tombleur sus la table et reste figé, les yeux grands comme des piastres françaises et les cheveux drets sus la tête.

C’était pas Hubert Sauvageau qu’il avait devant la face : c’était un grand chien noir, de la taille d’un homme, avec des crocs longs comme le doigt, assis sus son derrière, et qui le regardait avec des yeux flamboyants comme des tisons.

Le meunier était pas d’un caractère absolument peureux : la première souleur passée, il prit son courage à deux mains et appela Hubert :

- Qui c’qu’a fait entrer ce chien-là icitte ?

Pas de réponse.

- Hubert ! insista-t-il la bouche empâtée comme un homme qu’a trop mangé de cisagrappes, dis-moi donc d’où c’que d’sort ce chien-là !

Motte !

- Y’a du morfil là-dedans ! qu’y dit : marche te coucher, toi !

Le grand chien lâcha un petit grognement qui ressemblait à un éclat de rire, et grouilla pas.

Avec ça, pas plus d’Hubert que sus la main.

Joachim Crête était pas aux noces, vous vous imaginez. Y comprenait pas c’que ça voulait dire ; et comme la peur commençait à le reprendre, y fit mine de gagner du côté de la porte. Mais le chien n’eut qu’à tourner la tête avec ses yeux flambants, pour y barrer le chemin.

Pour lorsse, y se mit à manœuvrer de façon à se réfugier tout doucement et de raculons entre la table et la couchette, tout en perdant le chien de vue.

Celui-ci avança deux pas en faisant entendre le même grognement.

- Hubert ! cria le pauvre homme sur un ton désespéré.

Le chien continua à foncer sus lui en se redressant sus ses pattes de derrière, et en le fisquant toujours avec ses yeux de braise.

- A moi !... hurla Joachim Crête hors de lui, en s’acculant à la muraille.

Personne ne répondit ; mais au même instant, on entendit la cloche de l’église qui sonnait l’Elévation.

Alors une pensée de repentir traversa la cervelle du malheureux.

- C’est un loup-garou ! s’écria-t-il, mon Dieu, pardonnez-moi !

Et il tomba à genou.

En même temps, l’horrible chien se précipitait sus lui.

Par bonheur, le pauvre meunier, en s’agenouillant, avait senti quelque chose derrière son dos, qui l’avait accroché par ses hardes.

C’était une faucille.

L’homme eut l’instinct de s’en emparer, et en frappa la brute à la tête.

Ce fut l’affaire d’un clin d’œil, comme vous pensez bien. La lutte d’un instant avait suffi pour renverser la table, et faire rouler les verres, les bouteilles et la chandelle sus la plancher. Tout disparut dans la noirceur.

Joachim Crête avait perdu connaissance.

Quand il revint à lui, quéqu’un y jetait de l’eau frette au visage, en même temps qu’une voix ben connue y disait :

- Quoi c’que vous avez donc eu, monsieur Joachim ?

- C’est toi Hubert ?

- Comme vous voyez.

- Où c’qu’il est ?

- Qui ?

- Le chien.

- Queu chien ?

- Le loup-garou.

- Hein !...

- Le loup-garou que j’ai délivré avec ma faucille !

- Ah ! ça, venez-vous fou, monsieur Joachim ?

- J’ai pourtant pas rêvé ça… Pi toi, d’où c’que tu viens ?

- Du moulin.

- Mais y marche à c’te heure, le moulin ?

- Vous l’entendez.

- Va l’arrêter tout de suite : faut pas qu’y marche sus le jour de Noël.

- Mais il est passé le jour de Noêl, c’était hier.

- Comment ?

- Oui, vous avez été deux jours sans connaissance.

- C’est-y bon Dieu possible ! Mais quoi c’que t’as donc à l’oreille toi ? Du sang !

- C’est rien.

- Où c’que t’as pris ça ? Parle !

- Vous savez ben que j’ai timbé dans le moulin, la veille de Noël au soir.

- Oui.

- Et ben, j’me suis fendu l’oreille sus le bord d’un sieau.

Joachim Crête, mes enfants, se redressit sur son séant, hagard et secoué par un frémissement d’épouvante :

- Ah ! Malheureux des malheureux ! s’écriat-t-il ; c’était toi !...

Et le pauvre homme retomba sus son oreiller avec un cri de fou.

Il est mort dix ans après, sans avoir retrouvé sa raison.

Quant au moulin, la débâcle du printemps l’avait emporté.

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Bausejour

Commentaires (3)

NOPE!
  • 1. NOPE! | 19/12/2019
ses long... Mais j'aime les loup garous alors j'ai lu le texte
olive
tres bien mais le jeu de loup garou de tiercelieu est mieu
Ta mere
C long et ennuyant

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