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Articles de hailwidis

Le cheval noir de saint-Augustin de Desmaures

Cheval

Voici l’histoire du Diable qui se transforma en cheval. On connait la paroisse de Saint-Augustin-de-Desmaures. Pendant longtemps, on en parla énormément vu que ses habitants refusaient de vendre leurs terres a une aluminerie. Mais les évènements dont il est ici question survinrent "dans le bon vieux temps", il y a trois cent ans, au moment où Saint-Augustin n’était pas encore une véritable paroisse, seulement une desserte: un prêtre du Séminaire de Québec allait dire la messe là le dimanche et retournait ensuite au séminaire. Mais il n’aimait pas cette situation et il voulait absolument faire construire une église. Un bon tantôt, après la messe, il réunit les cultivateurs de l’endroit et leur dit : "il nous faut une église, une belle église, trois fois plus grande que la petite école qui nous sert pour la messe le dimanche". Les cultivateurs n’étaient pas d’accord : "on en revient de votre grande église. Qui va la payer ? C’est nous autres. Et vous voulez à part ça un clocher qui pointe vers le ciel! Et un coq en plus ? On en revient. Venez pas nous achaler avec ça."

Le prêtre, découragé, retourna à sa chambre, prit un petit verre de vin et se coucha. Dans son sommeil, il se sentit interpellé :"François! François! " La peur le prit et il fit un examen de conscience. Il se dit :"pourtant, je suis en état de grâce, je suis allé à confesse. Je n’ai pas de raison de m’apeurer comme ça." Il se retourna et se rendormit. Peu de temps après, il entendit encore la même voix: "François! François! Je suis Notre-Dame du Bon Secours. Je sais que tu as de la difficulté avec les cultivateurs et je veux venir à ton aide. J’ai un moyen pour construire ton église: demain matin, tu vas trouver un gros cheval noir attaché à la porte de l’école. Cet animal-là va t’aider à transporter les roches pour bâtir ton église."

Le matin, quand il se leva, il aperçut à cet endroit un beau cheval bien musclé, une bête splendide. Cependant, Notre-Dame du Bon Secours lui avait aussi dit : "il ne faut absolument pas lui enlever la bride, sinon ce sera fini. Il pourrait même y avoir un cataclysme." Le prêtre se dit :"s’il ne faut que cela pour réussir, je ne lui enlèverai certainement pas la bride !" Quand les cultivateurs aperçurent le cheval, ils tombèrent en admiration. Ils demandaient :"est ce que le prêtre a acheté un nouveau cheval ? Tu parles d’une belle bête !" Ils étaient très surpris. Le prêtre leur dit : "on va travailler à transporter des pierres pour l’église." puis il se tourna vers le sacristain :"tu vas atteler ce gros cheval noir à la traîne et tu vas commencer aujourd’hui à transporter des roches." Comme l’animal était très fort, Narcisse augmentait la charge, voyage après voyage, et le cheval tirait sans problème un poids toujours plus lourd. Les cultivateurs qui regardaient cela avec admiration se dirent entre eux :"on est capable d’en faire autant !" et ils se mirent eux aussi a charroyer des pierres pour l’église.

Le quatrième jour vers les onze heures, le petit garçon de Narcisse surgit de la maison en criant :"Louise est tombée en bas de l’escalier! Viens vite, maman t'appelle." Comme le sacristain tenait absolument à ce que les roches soient transportées, il apostropha son voisin :"Jacques! Prends ma place!"

Jacques, c’était un gros bonhomme qui ne croyait ni à Dieu ni à Diable et qui était indépendant comme un chat. Aussi, quand il entendit Narcisse lui dire :"il ne faut pas que tu lui enlèves la bride ni que tu le charges trop parce qu’il commence à être fatigué", il prit le cheval, mais en marmonnant: "si tu penses que je ne connais pas les chevaux, tu te trompes. Je les connais autant que toi et je ferai bien ce que je voudrai." Il charroya les roches une partie de l’après-midi et, vers les quatre heures, le cheval s’arrêta près d’un ruisseau. "Qu’est-ce qu’il veut, le cheval? Il a l’air d’avoir soif." Jacques descendit de la traine et approcha l’attelage près de l’eau. Mais l’animal avait de la difficulté à boire. L’homme enleva alors la bride au cheval noir dont les yeux devinrent des tisons pendant que des flammes lui sortaient de la gueule. Le ruisseau s’assécha complétement et il se forma un trou béant où furent engloutis Jacques, le cheval, et la charge de roches. Puis le trou se referma.

On n’entendit plus reparler du cheval du Diable. C’est la légende de la première église de Saint-Augustin dont les fondations sont encore apparentes sur le chemin du bord de l’eau et où on peut vérifier soi-même que cette histoire est vraie.

Bestiaire des légendes du Québec, Nicole Guilbault

St augustin

Les jacks mistigris

Jack

Créatures des profondes forêts, les jacks mistigris occupent le territoire situé entre la rivière Saint-Maurice et l’Ouatouais. C’est à la nuit tombée, toujours en bande et en exécutant une danse infernale, qu’ils apparaissent. Sautant, roulant, culbutant, grimaçant, piaillant, ruant et gigotant, ces créatures squelettiques se font craquer les os en adoptant des positions grotesques et obscènes ? Cul par-dessus tête, marchant sur leurs mains ou rampant comme des agonisants, leur apparition est toujours à glacer le sang.

Les jacks mistigris sont de toutes tailles et de tous gabarits. Ils peuvent être très petits ou dépasser amplement la taille d’un homme. Il en existe des ventrus, des bossus, des tordus et des cornus, et la plupart ont une tête de bœuf, des bois de caribou, un corps de serpent et des pattes de poule pourvues de longs ergots. Mi-hommes mi-animaux, ces créatures d’un autre monde peuvent aussi être recouvertes d’un plumage, être munies de pattes de grenouille ou se déplacer à huit pattes comme de grosses araignées. Leur haleine, d’une puanteur à faire défaillir le plus solide des explorateurs, peut être sentie de très loin, signalant ainsi leur présence dans les environs.

Les témoins de l’apparition de jacks mistigris sont rares, puisque la plupart de ceux qui ont eu le malheur de les croiser y ont laissé leur peau. On raconte que ces monstres peuvent avaler une victime en moins de dix minutes et que, si les âmes des hommes pieux gagnent ensuite le paradis, celles des mécréants se joignent à la bande des damnés pour danser jusqu’à la fin des temps.

Les plus chanceux, qui ont échappé de justesse aux griffes des jacks mistigris, rapportent que toutes les nuits depuis leur terrible rencontre, ils revoient en rêve les danses occultes de ces damnés de la forêt.

Créatures fantastiques du Québec. 1, Bryan Perro

St mo

La croix maudite de Causapscal

Croix de causpscal

Il existe encore aujourd’hui, tout près du village de Causapscal en Gaspésie, une grande croix de bois où, jadis, des rituels d’invocation du démon auraient été pratiqués en de maintes occasions. C’est en cet endroit même, à une intersection routière peu fréquentée, que bon nombre de poules noires auraient été sacrifiées, ouvrant ainsi un passage entre le monde réel et celui des ténèbres.

On a affirmé qu’à l’époque quiconque voulait entrer en contact avec les forces du mal n’avait qu’à se rendre à la croix par une nuit sans lune avec une poule noire enfermée dans un sac. La personne devait se placer directement sous la croix, prendre la poule par les pattes, tête en bas, puis la fendre en deux d’un seul coup sans qu’elle pousse le moindre cri. Pour conclure le rituel, il fallait que le suppliant boive le sang de l’animal, provoquant ainsi l’apparition d’une ombre maléfique qui lui offrait d’emblée, sur un ton lugubre, d’échanger son âme contre la réalisation d’un vœu.

On rapporte que plusieurs habitants de la Marapédia auraient pratiqué ce rituel, et ce, pour différentes raisons. On pouvait se rendre sous la croix de Causpascal dans l’espoir de faire fortune, d’être guéri d’un mal ou de se venger d’un voisin indésirable. On y allait aussi pour augmenter son succès auprès du sexe opposé ou tout simplement dans le but d’obtenir un poste important dans son milieu de travail.

Sans doute s’agissait-il d’hommes et de femmes désespérés ou simplement malhonnêtes. Victimes de leur cupidité, de leur désir de pouvoir ou de leur volonté de plaire à tout prix, ils tablaient sur cette pratique douteuse pour parvenir à leurs fins. Or, on raconte que la plupart d’entre eux auraient connu une mort violente et que leur spectre hanterait la forêt et les routes des environs de la croix. Récemment, plusieurs témoins ont même affirmé avoir assisté, non loin de là, à un sabbat au cours duquel des revenants pratiquaient des danses païennes au son discordant d’une flûte et d’un tambour.

Quant à la croix, elle serait encore fortement imprégnée des sacrilèges de tous ces rituels passés, si bien que toute personne qui la touche peut s’attendre à voir la malchance s’abattre sur elle ou sur son entourage. On dit aussi que, certaines nuits, sans lune, les âmes des damnés de la croix maudite reviennent furtivement dans le monde des vivants. Mieux vaut alors ne pas traîner aux alentours…

Créatures fantastiques du Québec .1, Bryan perro

Photo de Paul Turcotte

Causpascal

La griffe du Diable

Griffe du diableGriffe du diable 2

A une certaine époque, bien avant celle de l’émancipation de la femme, la société patriarcale imposait que chaque membre de la famille prenne son rang et assume son rôle. Le papa jouait son personnage de père : il travaillait, grognait et mettait son poing sur la table pour un rien. La maman, quant à elle, s’occupait de la marmaille, voire de toute la maisonnée. Oui, en ces temps-là, les passe-temps se faisaient rares. Pas de radio, pas de télévision, pas d’ordinateur, même pas d’électricité. Les corvées se succédaient tout au long de la journée; on les exécutait sans se poser de question. La femme s’occupait de la maisonnée, c’est à dire du lavage, du repassage, du nettoyage, de la préparation des repas, des animaux et attendait que le bonhomme revienne à la maison pour affirmer son autorité. Toutes ces taches terminées, les femmes pouvaient profiter du peu de temps libre qu’il leur restait pour tuer ce temps, mais avec beaucoup d’imagination. En effet, quoi de mieux pour passer le temps que de chercher des prétextes pour entamer une bonne chicane avec sa voisine.

Dans le comté de Bellechasse, les disputes participaient au bon voisinage. Deux femmes de la région rivalisaient plus que toutes les autres pour la polémique : madame Thérien et madame Bouchard. Chacune avait une famille nombreuse. La Thérien était plus large que haute et possédait un fort caractère. La Bouchard, elle, était aussi bien portante, mais plus silencieuse que la première, sans doute plus sournoise également. Néanmoins, entre ces deux voisines, les couteaux volaient souvent très bas. Elles s’épiaient constamment pour trouver le moindre prétexte pour déclencher une chicane.

A tous les ans, au mois d’aout, on s’affairait à la cueillette des bleuets. Bien juteux et bien sucrés, les fruits faisaient la joie de toute la marmaille. Seulement, cette année-là, pour une raison encore inexpliquée, les bleuets étaient rouges. Qu’à cela ne tienne ! Ils goutaient bon. Un beau matin, la bonne femme Bouchard, le bébé sur le dos, se dirigeait allègrement vers le champ de fruits pour y faire sa cueillette. Sa voisine, qui la surveillait, l’intercepta :

- Tu vas où comme ça, ma bougresse ? cria madame Thérien.

- Occupe-toi donc de tes affaires, vieille folle! répliqua madame Bouchard.

- Voleuse de bleuets! Je te prends sur le fait...

- Voleuse toi même! Je t’ai vue en cueillir l’année dernière, hypocrite! Tout le monde se sert, tu le sais trop bien. Ce sont des bleuets sauvages et ils sont donc à tt le monde. D’autant plus que c’est Dieu qui les fait pousser, ajouta madame Bouchard.

- Va donc chez le Diable! L’injuria la Thérien.

En effet, les habitants du coin n’avaient aucun scrupule quand il s’agissait de ramasser les fruits qui poussaient dans ce champ. La terre appartenait bel et bien à un bonhomme, mais personne ne le voyait. Cet être secret ne se mêlait guère aux habitants du village. Il sortait surtout la nuit, parait-il, et nul ne pouvait dire où il habitait. Du reste, il possédait cette terre depuis quelques années; un lopin qui appartenait auparavant à un cultivateur, un dénommé Maltais. Le bonhomme Maltais, encore tout fringuant, perdit la vie d’une façon bien mystérieuse. La succession fut réglée simplement, d’autant que notre inconnu et mystérieux bonhomme réclama alors la terre à la famille endeuillée sous prétexte qu’il l’avait louée à Maltais.

Mais pour revenir à madame Bouchard, celle-ci marcha d’un pas ferme avec son bébé jusqu’au champ. Elle y cueillit des bleuets rouges une bonne partie de l’après-midi, ramassant une bonne quantité de fruits, suffisamment pour préparer de bonnes confitures. Elle rentra à la maison sans se questionner sur la couleur des baies ou encore la clandestinité de son entreprise. Après tout, ces fruits appartenaient à tout le monde et c’est Dieu qui les a fait pousser !

La Thérien, quant à elle, vertement jalouse, décida d’y aller à son tour le lendemain. Elle voulut se rendre au champ à l’insu de tous, surtout sans que la Bouchard ne s’en aperçoive. Seule au champ, elle cueillit, elle aussi, une bonne grosse poignée de fruits rouges bien murs. Vers la fin de l’avant midi, alors qu’elle se pencha pour ramasser ses dernières baies, un homme s’approcha d’elle et l’interpella d’une voie très grave et caverneuse ; "ce sont mes fruits que vous cueillez là !"

La bonne femme Thérien se retourna doucement et aperçut le mystérieux propriétaire de la terre. Elle le balaya du regard quelques secondes sans dire mot. Face au soleil, les yeux de la Thérien ne pouvaient distinguer que la silhouette effroyable de cet homme : une tête en forme de triangle, des mains immenses avec des ongles qui se recourbaient sur ses doigts. Ce "monstre" avait le dos courbé et les épaules en bouteille. Aussitôt, la Thérien poussa un cri terrifiant juste avant de s’enfuir à toute vitesse vers sa demeure. Elle courut à s’époumoner sans relâche, mais elle savait que la bête la suivait. Oui, elle l’avait bien reconnu, c’était le Diable en personne ! Sans même y penser, elle alla se réfugier chez madame Bouchard qui étendait son linge dehors.

- Mais que se passe-t-il donc ? demanda la bonne femme Bouchard, étonnée de voir sa voisine à bout de souffle et l’air complètement horrifiée.

- Les bleuets, là-bas... le monstre !

- Le monstre ? Quel monstre ? demanda la Bouchard qui n’en croyait pas ses oreilles.

- Aidez-moi, vite ! Le Diable me pourchasse !

- Le Diable ?

La bête était juchée sur un rocher, tout juste en face de la maison des Bouchard. Les deux femmes se tenaient par la main. La peur leur nouait la gorge. Elles entrèrent dans la maison pour se réfugier et madame Bouchard eut l’idée de prendre le bébé. "Prenons-le, dit-elle à sa voisine. Il est pur, il nous protègera contre les maléfices de Satan! Il n’aura aucune emprise sur lui."

Le Diable rageait et pestait sur son rocher, car la vue d’un enfant était la seule chose qui puisse le paralyser. Sa colère était si grande qu’il griffa le rocher avec ses ongles de pieds et de mains, et il laissa ainsi des traces indélébiles dans le roc. Après quoi le Diable s’évanouit dans l’horizon et les deux femmes furent dès lors sauves.

Encore aujourd’hui, les traces laissées par le Diable subsistent à Saint-Lazare-de-Bellechasse.

Les grandes histoires québécoises : redécouvrez ces histoires qui ont marqué notre imaginaire, Gaston Gendron

Saint lazare

La tour de Trafalgar

Tour de trafalgar

Connaissez-vous la tour de Trafalgar ? Cette légende provient, en fait, d’une nouvelle qui a été publiée en 1835 par Georges Boucher de Boucherville. Il s’agit du premier conte publié en langue française au Québec. Evidemment, nous ne savons si cette histoire s’inspire de faits réels ou encore si elle est totalement inventée. Nous ne savons non plus si cette fameuse tour s’élevait vraiment vers le ciel, sur les flancs de mont-Royal, dans le quartier Côtes-des-Neiges. Selon Georges Boucher, une petite tache blanche attire l’œil quand on jette un regard vers la montagne. "C'est une petite tour à la forme gothique" écrivait-il, une tour qui rappelle des souvenirs pénibles d’une scène d’horreur qui est à l’origine de cette histoire. Chose certaine, la légende de la tour de Trafalgar ne laisse personne indifférent. Une histoire lugubre qui nous glace le sang. "..."

La petite Léocadie, une enfant d’à peine dix-sept ans, une fine fleur aux bonnes mœurs, vivait avec sa tante dans le cartier Côte-des Neiges. Elle représentait, sans contredit, le meilleur parti des environs. Seulement, un dénommé Joseph, dont elle était profondément amoureuse, avait déjà demandé sa main. La jeune fille rêvait du jour où ils pourraient s’unir par les liens du mariage pour l’éternité. Un jour, Léocadie, qui malgré son jeune âge était fort dévote, prit le chemin de l’église pour y réciter quelques prières. Un jeune homme, passant devant l’édifice, la vit sortir et fut ébloui par la splendeur de la beauté de Léocadie. Il tomba éperdument amoureux de la jeune femme sans même lui avoir adressé quelques mots. Son amour fut si fort qu’il jura de n’aimer personne d’autre toute sa vie. Il fit l’impossible pour se rapprocher d’elle et réussit, malgré la grande gêne qui l’habitait, à lui parler au bout de quelques jours. Mais le jeune homme connaissait la tante de Léocadie, qui lui avoua, après quelques temps, que le cœur de la jeune fille appartenait déjà à quelqu’un d’autre. Quand le jeune homme entendit ces mots, son visage devint d’abord très pale. Mais la rage lui monta à la tête et il devint rouge. Il rentra chez lui et songea à sa vengeance. "Ils vont payer tous les deux pour ce qu’ils m’ont fait", se dit le jeune homme.

Un beau matin, il aborda Léocadie près de l’église, lieu de leur première rencontre. Il s’approcha d’elle et prononça les paroles terrifiantes qui suivent :

"regarde comme le soleil est rouge, il est rouge comme du feu, comme du sang, comme le sang qui doit couler".

La petite Léocadie fut horrifiée par cette parole. Elle partit en courant sans même le regarder ni lui dire au revoir. Son souhait le plus cher était de ne plus jamais croiser le chemin du jeune homme.

Quelques jours s’écoulèrent sans que Léocadie ni Joseph n’entendent parler de cet homme obscur. Pourtant, ce dernier surveillait bien leurs faits et gestes, prêt à bondir comme un vautour sur sa proie. Par un beau dimanche ensoleillé, les deux amoureux partirent en excursion à la montagne. Le ciel était d’un bleu azur et les arbres étaient verdoyants. Ils erraient dans les sentiers, bras dessus bras dessous. Ils étaient heureux, silencieux mais passionnément amoureux. Le couple marcha jusqu’à la petite tour. La fatigue affligeait Léocadie et elle décida de s’asseoir dans l’herbe, au pied de l’édifice. Elle soupira. "Regarde comme le soleil est rouge Joseph, lui dit-elle. Je n’aime pas quand le soleil est rouge, il me fait peur." mais son fiancé éclata de rire et tenta de la rassurer en lui disant de ne pas s’occuper de cet étranger, que ses mots n’étaient qu’enfantillage.

"Partons, insista Joseph auprès de sa bien-aimée. Je crois que tu es bien fatiguée. Mais avant, entrons dans la tour quelques instants." Au moment où Léocadie posa ses mains par terre pour se lever, ils entendirent des pas d’homme derrière le bâtiment. Joseph n’y porta pas attention et aida sa fiancée à se relever. Les deux jeunes gens se retrouvèrent bientôt à l’intérieur de la tour où il régnait une ambiance morbide et une forte odeur d’humidité. Léocadie tressaillit quand elle crut voir une lueur dans l’obscurité de cet endroit lugubre. Joseph s’approcha d’elle et lui donna un baiser, soit le moment propice pour que le monstrueux prédateur saute sur ses victimes. C’est ainsi qu’une silhouette d’homme bondit sur la jeune femme et lui assena un coup de couteau au cœur. Elle s’écroula aux pieds de Joseph, sans vie, sans même expirer son dernier soupir. Joseph s’élança subitement et engagea violemment le combat avec l’homme. Sans arme, il avait bien peu de chance de livrer une lutte qui puisse lui sauver l’existence. Le meurtrier repoussa violemment Joseph et le projeta au sol. Un genou contre sa poitrine, il lui serra la gorge si fortement que l’agonie ne dura que quelques secondes. Il entendit le dernier râlement de gorge de sa victime et sa vengeance fut ainsi satisfaite
"..."

Les grandes légendes québécoises : redécouvrez ces histoires qui ont marqué notre imaginaire, Gaston Gendron

Trafalgare

Le bateau fantôme de Gaspé

Gaspe

Les jours de mauvais temps, il est possible de voir sur la mer, juste devant la ville de Gaspé, un grand vaisseau noir enflammé voguant sur les flots. C’est un trois-mâts à bord duquel des marins squelettiques et à moitié calcinés s’évertuent en vain à éteindre le feu qui consume les voiles. Le voilier est sous la gouverne d’un capitaine sans morale qui fut damné avec tout son équipage au XVIème siècle.

Selon la légende, l’homme sans scrupules aurait fait monter à son bord de braves amérindiens qu’il aurait soûlés avant de les vendre comme esclaves dans les vieux pays. Content de sa ruse et désireux de recommencer son manège, le capitaine serait revenu dans la baie de Gaspé où, cette fois, il aurait été reçu par de farouches guerriers et un puissant chaman micmac. A la nuit tombante, les amérindiens auraient encerclé le navire de leurs canots d’écorce afin de le cribler de flèches enflammées. Puis, usant de tout son pouvoir, le sorcier aurait jeté une malédiction sur le vaisseau et son équipage, les condamnant  brûler pour l’éternité. Depuis ce jour, il paraît que le navire revient souvent hanter les côtes de Gaspé et que, parfois, on peut même entendre à travers le brouillard le rire fou de son misérable capitaine.

Créatures fantastiques du Québec .1, Bryan Perro

Gaspee

Les squelettes du lac des Tombeaux

Lac maudit

Situé en haut du bassin de la Manouane, à environ quatre kilomètres de l’une des grandes baies du lac Wabaskontiunck, se trouve un plan d’eau étrange que l’on nomme « le lac des Tombeaux ». Arpenté pour la première fois en 1870, ce lac fut ainsi baptisé en raison de la découverte macabre de centaines de squelettes humains qui jonchaient ses rives. Selon les plus récentes recherches, une épidémie de varicelle survenue vers les années 1850 aurait complètement décimé la population autochtone qui vivait là.

Les récits des bûcherons et des draveurs qui ont fréquenté cet endroit sont terrifiants. Les berges du lac maudit seraient hantées par les esprits de ces morts, et plusieurs personnes affirment avoir vu les squelettes des membres de cette malheureuse tribu sortir de leurs tombeaux de terre et de mousse pour se réunir et exécuter sous la lune des danses païennes. Encore furieux d’être morts prématurément à cause d’une maladie apportée d’Europe par l’homme blanc, ils se livreraient à ces cérémonies occultes pour demander aux grands esprits de la Nature de punir les envahisseurs.

On raconte que quelques bûcherons inconscients et trappeurs téméraires se seraient rendus au lac des Tombeaux afin de réfuter la légende, mais aucun d’entre eux ne serait jamais revenu de cette expédition. Parmi eux, un colosse nommé Saint-Amand, le plus courageux de tous, dit-on, aurait été retrouvé brûlé dans une petite cabane de bois, près du lac. Son chien, un labrador aussi vaillant que son maitre, se tenait à ses côtés. L’équipe de recherches dut l’abattre parce qu’il était devenu complètement fou. La pauvre bête attaquait les arbres et ne cessait de courir après sa queue.

Les squelettes du lac des Tombeaux sont toujours là, enfouis dans la vase, et attendent patiemment le jour de leur vengeance. Les récits entourant leurs apparitions se font de moins en moins nombreux avec les années, mais les vieux chasseurs se souviennent de ce que les nouvelles générations ont tendance à oublier : mieux vaut éviter de fréquenter les berges de ce lac maudit où les forces anciennes des Premières Nations bouillent encore, comme un volcan qui attend son heure.

Créatures fantastiques du Québec. 2, Bryan Perro

Tombeaux

Le loup garou

Loup garou

[…]

Le pauvre Joachim Crête, l’était pas assez, lui, craignant de Dieu.

C’est pas qu’il était un ben méchant homme, non ; mais il était comme j’en connais encore de nos jours : y pensait au bon Dieu et à la religion quand il avait du temps de reste. Ça, ça porte personne en route.

Il aurait pas trigaudé un chat d’une cope, j’cré ben ; y faisait son carême et ses vendredis comme père et mère, à c’qu’on disait. Mais y se rendait à ses dévotions ben juste une fois par année ; y faisait des clins d’yeux gouailleurs quand on parlait de la quête de l’Enfant-Jésus devant lui : et pi, dame, il aimait assez la goutte pour se coucher rond tous les samedis au soir, sans s’occuper si son moulin allait marcher sus le dimanche ou sus la semaine.

Parce qu’il faut vous dire, les enfants, que Joachim Crête avait un moulin, un moulin à farine, dans la concession de Beauséjour, sus la petite rivière qu’on appelle la Rigole.

C’était pas le moulin de Lachine, si vous voulez ; c’était pas non plus un moulin de seigneurie ; mais il allait tout de même, et moulait son grain de blé et d’orge tout comme un autre.

Il me semble de le voir encore, le petit moulin tout à côté du chemin du roi. Quand on marchait pour not’ première communion, on manquait jamais d’y arrêter en passant, pour se reposer.

C’est là que j’ai connu le pauvre malheureux : un homme dans la quarantaine qu’haïssait pas à lutiner les fillettes, soit dit sans médisance.

Comme il était garçon, y s’était créé un cambuse dans son moulin, où c’qu’il vivait un peu comme un ours, avec un engagé du nom de Hubert Sauvageau, un individu qu’avait voyagé dans les Hauts, qu’avait été sus les cages, qu’avait couru la prétentaine un peu de tout bord et de tout côté, où c’que c’était ben clair qu’il avait appris rien de bon.

Comment c’qu’il était venu s’échouer à Saint-Antoine après avoir roulé comme ça ? On l’a jamais su. Tout c’que je peux vous dire, c’est que si Joachim Crête était pas c’que y avait de plus dévotieux dans la paroisse, c’était pas son engagé qui pouvait y en remontrer sus les principes comme on dit.

L’individu avait pas plus de religion qu’un chien, sus vot’ respèque. Jamais on voyait sa corporence à la messe ; jamais il ôtait son chapeau devant le Calvaire ; c’est toute si y saluait le curé du bout des doigts quand y le rencontrait sus la route. Enfin, c’était un homme qu’était dans les langages, ben gros.

- De quoi c’que ça me fait tout ça ? disait Joachim Crête, quand on y en parlait ; c’est un bon travaillant qui chenique pas sus l’ouvrage, qu’est fiable, qu’est sobre comme moi, qui mange pas plusse qu’un autre, et qui fait la partie de dames pour me désennuyer : j’en trouverais pas un autre pour faire mieux ma besogne quand même qu’y s’userait les genoux du matin au soir à faire le Chemin de la Croix.

Comme on le voit, Joachim Crête était un joueur de dames : et si quéqu’un avait jamais gagné une partie de polonaise avec lui, y avait personne dans la paroisse qui pouvait se vanter de y avoir vu faire queuque chose de pas propre sus le damier.

Mais faut aussi que le Sauvageau était pas loin de l’accoter, parce que - surtout quand le meunier avait remonté de la ville dans la journée avec une cruche - ceux qui passaient le soir devant le moulin les entendaient crier à tue-tête chacun leur tour : -Dame ! –Mange ! –Soufflé ! -Franc-coin ! -Partie nulle !... Et ainsi de suite, que c’était comme une vraie rage d’ambition.

Mais arrivons à l’aventure que vous m’avez demandé de vous raconter.

Ce soir-là, c’était la veille de Noël, et Joachim Crête était revenu de Québec pas mal lancé, et – faut pas demander ça – avec un beau stock de provisions dans le coffre de sa carriole pour les fêtes.

La gaieté était dans le moulin.

Mon grand-oncle, le bonhomme José Corriveau, qu’avait une pochetée de grain à faire moudre, y était entré sus le soir, et avait dit à Joachim Crête :

- Tu viens à la messe de Mênuit sans doute ?

Un petit éclat de rire sec y avait répondu. C’était Hubert Sauvageau qu’entrait, et qu’allait s’assire dans un coin, en allumant son bougon.

- On voira ça, on voira ça ! qu’y dit.

- Pas de blague, la jeunesse ! avait ajouté bonhomme Corriveau en sortant : la messe de Mênuit, ça doit pas se manquer, ça.

Puis il était partit, son fouet à la main.

- Ha !ha ! ha !... avait ricané Sauvageau ; on va d’abord jouer une partie de dames, monsieur Joachim, c’pas ?

- Dix, si tu veux, mon vieux ; mais faut prendre un coup premièrement, avait répondu le meunier.

Et la ribote avait commencé.

Quand ça vint sur les onze heures, un voisin, un nommé Vincent Dubé, cogna à la porte :

- Coute donc, Joachim, qu’y dit, si tu veux une place dans mon berlot pour aller à la messe de Mênuit, gêne-toi pas : je suis tout seul avec ma vieille.

- Merci, j’ai ma guevale, répondit Joachim Crête.

- Vont-y nous ficher patience avec leux messe de Mênuit ! s’écria le Sauvageau, quand la porte fut fermée.

- Prenons un coup ! dit le meunier.

Et avant la pintochade, avec le jeu de dames !

Les gens qui passaient en voiture ou à pied se rendant à l’église se disaient :

- Tiens, le moulin de Joachim Crête marche encore : faut qu’il ait gros de farine à moudre.

- Je peux pas craire qu’il va travailler comme ça sus le saint jour de Noël.

- Il en est capable.

- Oui, surtout si son Sauvageau s’en mêle…

Ainsi de suite.

Et le moulin tournait toujours, la partie de dames s’arrêtait pas ! Et la brosse allait son train.

Une santé attendait pas l’autre.

Queuqu’un alla cogner à la fenêtre :

- Holà ! vous autres ; y s’en va mênuit. V’là le dernier coup de la messe qui sonne. C’est pas bien chrétien, c’que vous faites là.

Deux voix répondirent :

- Allez au sacre ! et laissez-nous tranquilles !

Les derniers passants disparurent. Et le moulin marchait toujours.

Comme il faisait un beau temps sec, on entendait le tic-tac de loin ; et les bonnes gens faisaient le signe de la croix en s’éloignant.

Quoique l’église fut à ben proche d’une demi-lieue du moulin, les sons de la cloche y arrivaient tout à clair.

Quand il entendit le tinton, Joachim Crête eut comme une espèce de remords :

- V’là mênuit, qu’y dit, si on levait la vanne…

- Voyons, voyons, faites donc pas la poule mouillée, hein ! que dit le Sauvageau. Tenez, prenons un coup et après ça je vous fais gratter.

- Ah ! quant à ça, par exemple, t’es pas bletté pour, mon jeune homme !... Sers-toi, et à ta santé !

- A la vôtre, monsieur Joachim !

Ils n’avaient pas remis les tombleurs sus la table que le dernier coup de cloche passait sus le moulin comme un soupir dans le vent.

Ca fut plus vite que la pensée… crac ! v’là le moulin arrêté net, comme si le tonnerre y avait cassé la mécanique. On aurait pu entendre marcher une souris.

- Quoi c’que ça veut dire, c’te affaire-là ? que s’écrie Joachim Crête.

- Queuques joueurs de tours, c’est sûr ! que fit l’engagé.

- Allons voir c’que y a, vite !

On allume un fanal, et v’là nos deux joueurs de dames partis en chambranlant du côté de la grand’roue. Mais ils eurent beau chercher et fureter dans tous les coins et racoins, tout était correct ; y avait rien de dérangé.

- Y a du sorcier là-dedans ! qu’y dirent en se grattant l’oreille.

Enfin, la machine fut remise en marche, on graissit les mouvements, et nos deux fêtards s’en revinrent en baraudant reprendre leux partie de dames – en commançant par reprendre un coup d’abord, ce qui va sans dire.

- Salut, Hubert !

- C’est tant seulement, monsieur Joachim…

Mais les verres étaient à peine vidés que les deux se mirent à se regarder tout ébarouis. Y avait de quoi : ils étaient soûls comme des barriques d’abord, et puis le moulin était encore arrêté.

- Faut que des maudits aient jetés des cailloux dans les moulanges, balbutia Joachim Crête.

- Je veux que le gripette me torde le cou, baragouina l’engagé, si on trouve pas c’qu’en est, c’te fois-citte !

Et v’là nos deux ivrognes, le fanal à la main, à rôder tout partout dans le moulin, en butant pi trébuchant sus tout c’qu’y rencontraient.

Va te faire fiche ! y avait rien, ni dans les moulanges ni ailleurs.

On fit repartir la machine ; mais ouichte, un demi-tour de roue, et pi crac !... pas d’affaires : ça voulait pas aller.

- Que le diable emporte la boutique ! vociféra Joachim Crête. Allons-nous en !

Un juron de païen lui coupa la parole. Hubert Sauvageau, qui s’était accroché les jambes dans queuque chose, manquable, venait de s'élonger sus le pavé comme une bête morte.

Le fanal, qu’il avait dans la main, était éteindu mort comme de raison ; de sorte qu’y faisait noir comme chez le loup : et Joachim Crête, qu’avait pas trop à faire que de se piloter tout seul, s’inventionna pas d’aller porter secours à son engagé.

- Que le pendard se débrouille comme y pourra ! qu’y dit, moi j’vas prendre un coup.

Et, à la lueur de la chandelle qui reluisait de loin par la porte ouverte, il réussit, de Dieu et de grâce, et après bien des zigzags, à se faufiler dans la cambuse, où c’qu’il entra sans refermer la porte par derrière lui, à seule fin de donner une chance au Sauvageau d’en faire autant.

Quand il eut passé le seuil, y piqua tout dret sus la table où c’qu’étaient les flacons, vous comprenez bien ; et il était en frais de se verser une gobe en swignant sus ses hanches, lorsqu’il entendit derrière lui comme manière de gémissement.

- Bon, c’est toi ? qu’y dit sans se revirer ; arrive c’est le temps.

Pour toute réponse, il entendit une nouvelle plainte, un peu plus forte que l’autre.

- Quoi c’que y a !... T’es-tu fait mal ?... Viens prendre un coup, ça te remettra.

Mais bougez pas, personne venait n’y répondait.

Joachim Crête, tout surpris, se revire en mettant son tombleur sus la table et reste figé, les yeux grands comme des piastres françaises et les cheveux drets sus la tête.

C’était pas Hubert Sauvageau qu’il avait devant la face : c’était un grand chien noir, de la taille d’un homme, avec des crocs longs comme le doigt, assis sus son derrière, et qui le regardait avec des yeux flamboyants comme des tisons.

Le meunier était pas d’un caractère absolument peureux : la première souleur passée, il prit son courage à deux mains et appela Hubert :

- Qui c’qu’a fait entrer ce chien-là icitte ?

Pas de réponse.

- Hubert ! insista-t-il la bouche empâtée comme un homme qu’a trop mangé de cisagrappes, dis-moi donc d’où c’que d’sort ce chien-là !

Motte !

- Y’a du morfil là-dedans ! qu’y dit : marche te coucher, toi !

Le grand chien lâcha un petit grognement qui ressemblait à un éclat de rire, et grouilla pas.

Avec ça, pas plus d’Hubert que sus la main.

Joachim Crête était pas aux noces, vous vous imaginez. Y comprenait pas c’que ça voulait dire ; et comme la peur commençait à le reprendre, y fit mine de gagner du côté de la porte. Mais le chien n’eut qu’à tourner la tête avec ses yeux flambants, pour y barrer le chemin.

Pour lorsse, y se mit à manœuvrer de façon à se réfugier tout doucement et de raculons entre la table et la couchette, tout en perdant le chien de vue.

Celui-ci avança deux pas en faisant entendre le même grognement.

- Hubert ! cria le pauvre homme sur un ton désespéré.

Le chien continua à foncer sus lui en se redressant sus ses pattes de derrière, et en le fisquant toujours avec ses yeux de braise.

- A moi !... hurla Joachim Crête hors de lui, en s’acculant à la muraille.

Personne ne répondit ; mais au même instant, on entendit la cloche de l’église qui sonnait l’Elévation.

Alors une pensée de repentir traversa la cervelle du malheureux.

- C’est un loup-garou ! s’écria-t-il, mon Dieu, pardonnez-moi !

Et il tomba à genou.

En même temps, l’horrible chien se précipitait sus lui.

Par bonheur, le pauvre meunier, en s’agenouillant, avait senti quelque chose derrière son dos, qui l’avait accroché par ses hardes.

C’était une faucille.

L’homme eut l’instinct de s’en emparer, et en frappa la brute à la tête.

Ce fut l’affaire d’un clin d’œil, comme vous pensez bien. La lutte d’un instant avait suffi pour renverser la table, et faire rouler les verres, les bouteilles et la chandelle sus la plancher. Tout disparut dans la noirceur.

Joachim Crête avait perdu connaissance.

Quand il revint à lui, quéqu’un y jetait de l’eau frette au visage, en même temps qu’une voix ben connue y disait :

- Quoi c’que vous avez donc eu, monsieur Joachim ?

- C’est toi Hubert ?

- Comme vous voyez.

- Où c’qu’il est ?

- Qui ?

- Le chien.

- Queu chien ?

- Le loup-garou.

- Hein !...

- Le loup-garou que j’ai délivré avec ma faucille !

- Ah ! ça, venez-vous fou, monsieur Joachim ?

- J’ai pourtant pas rêvé ça… Pi toi, d’où c’que tu viens ?

- Du moulin.

- Mais y marche à c’te heure, le moulin ?

- Vous l’entendez.

- Va l’arrêter tout de suite : faut pas qu’y marche sus le jour de Noël.

- Mais il est passé le jour de Noêl, c’était hier.

- Comment ?

- Oui, vous avez été deux jours sans connaissance.

- C’est-y bon Dieu possible ! Mais quoi c’que t’as donc à l’oreille toi ? Du sang !

- C’est rien.

- Où c’que t’as pris ça ? Parle !

- Vous savez ben que j’ai timbé dans le moulin, la veille de Noël au soir.

- Oui.

- Et ben, j’me suis fendu l’oreille sus le bord d’un sieau.

Joachim Crête, mes enfants, se redressit sur son séant, hagard et secoué par un frémissement d’épouvante :

- Ah ! Malheureux des malheureux ! s’écriat-t-il ; c’était toi !...

Et le pauvre homme retomba sus son oreiller avec un cri de fou.

Il est mort dix ans après, sans avoir retrouvé sa raison.

Quant au moulin, la débâcle du printemps l’avait emporté.

Les grandes légendes du Québec : un tour du Québec en 25 récits traditionnels

Bausejour

Le gnome de l'île aux Grues

Gnome

Le gnome de l’île aux grues a toujours sa place dans la mémoire collective des gens de l’endroit. Ce petit bonhomme étrange, qui semblait ne pas avoir de tête tellement elle était enfoncée dans ses épaules, était haut comme trois citrouilles et ne sortait que la nuit, évitant toujours d’adresser la parole à quiconque. Il fuyait la route comme la peste ; on le voyait toujours courir à travers champs ou gambader sur la grève. La fascinante créature ne laissait jamais de traces derrière elle, pas même dans la neige fraiche et légère du jour. Hiver comme été, elle portait un vieux costume trois-pièces sombre, trop grand pour elle, qui lui donnait l’allure d’un clochard miniature.

On raconte que, pendant la fête de la mi-carême, durant laquelle les villageois déguisés se promènent de maison en maison sans se faire reconnaitre, le gnome s’introduisait incognito dans les demeures pour voler de la nourriture. Confitures, tartes, pâtés et viande fumée étaient ses mets de prédilection. Il arrivait à survivre ainsi jusqu’à l’arrivée du beau temps ; il dérobait alors des légumes dans les potagers et des fruits dans les vergers des cultivateurs de l’île.

On raconte qu’un jour, Louis Lebel, un habitant du chemin Rivage de Sainte-Antoine, las de se faire dérober ses biens, décida de donner au gnome une bonne correction. Dès qu’il le vit, il se précipita dans sa direction et tenta de l’empoigner pour le lancer dans les airs, mais il fut incapable de lui décoller les pieds du sol. Complètement ahuri pour le poids excessif du gnome, il adopta une autre stratégie : il lui donna quelques coups de poing sur la tête dans le but de l’assommer. Rien à faire ; le crâne de la créature était aussi dur que de la roche. Après quelques minutes de cette bataille à sens unique, le petit bonhomme attrapa Louis par le fond de culotte et l’expédia en bas d’une pente d’une vingtaine de mètres. L’homme aurait pu se briser tous les os du corps, mais atterrit par chance dans une mare de boue. Lorsque Louis raconta sa mésaventure au village, les habitants convinrent de laisser le gnome vivre en paix.

A partir de 1832, l’année de la grande vague de choléra qui s’abattit sur toutes les régions du Québec, le gnome de l’île se fit de moins en moins présent. Selon certaines personnes, il tomba gravement malade et faillit bien rendre l’âme. Voilà pourquoi, aujourd’hui, il n’apparait plus que très rarement, dit-on, aux habitants de l’endroit, préférant se tenir loin des humains et de leurs maladies.

Créatures fantastiques du Québec. 2, Bryan Perro

Ile aux grue

Rose Latulipe

Rose

L’histoire de Rose Latulipe est aussi terrifiante que mystérieuse. Même si elle remonte au XVIIIème siècle, le destin tragique de cette jeune fille alimente encore aujourd’hui l’imaginaire collectif au Québec. C’était autour de l’an 1700. Pour ceux qui connaissent le petit village de Cloridorme, en Gaspésie, nul besoin de préciser l’allure de ce trou perdu plus longuement. Mais faisons-le quand même! Entre mer et montagnes, imaginons un petit amoncellement de cabanes hospitalières qui abritaient quelques familles de pêcheurs et de villageois, heureux de vivre et de défricher l’Amérique. À Cloridorme, qui ne s’amusait pas risquait de trouver le temps long. La petit Rose Latulipe préféra se ranger du côté des ludiques de ce monde. Elle profitait de chaque moment de bonheur qui s’offrait à elle. Plus que tout, elle aimait danser. De plus, Rose avait la peau blanche et un joli visage d’ange. Son corps s’élançait en manière de grand mannequin, dressé sur de longues jambes fines. Elle faisait l’envie de tous les garçons des environs. Son père lui vouait un amour inconditionnel; il aurait tout fait pour elle. Il veillait à satisfaire le moindre de ses besoins afin qu’elle soit heureuse à chaque instant. Aussi, quand vint le temps d’accorder la main de sa fille a un étranger, monsieur Latulipe s’assura que le jeune aspirant réponde à toutes ses exigences, et la liste était longue...

N’en demeure pas moins que ce qui se produisit cette nuit-là, nul n’aurait pu même l’imaginer. Pourtant cette histoire est bien réelle, croyez-moi, bien que la réalité ait largement dépassé la fiction. Pour cette occasion spéciale de Mardi gras, Rose demanda à son père d’organiser un grand bal. Mais monsieur Latulipe se dit à ce moment que, pour cette soirée, les festivités devaient se terminer à une heure raisonnable. "Je veux bien ma fille, répliqua le bonhomme, mais nous devrons fermer la boutique avant que minuit sonne." Rose se dit qu’une courte veillée ferait bien son affaire, temps que le village au grand complet puisse bien s’amuser. Grand bien leur fasse ! Encore fallait-il respecter la période de carême qui allait débuter.

Dans cette contrée lointaine du Québec, les nuits sont longues. La tradition suggérait aux gens qui travaillaient dur de se laisser aller, de se dégourdir un peu le soir venu. On dansait volontiers sur les airs du violoneux, ou encore on écoutait les légendes, les contes et les autres histoires fantastiques du conteur désigné du coin. Bien entendu, peu de gens savaient lire, mais tous avaient besoin de se divertir!

Pour l’occasion spéciale, monsieur Latulipe invita le fiancé de sa fille. Il s’agissait d’un honnête jeune homme, un peu maladroit, affublé de quelques habitudes avaricieuses, mais un type bien, tout de même, voire un grand sec plein de bonne volonté, mais avec peu d’ambition. Toujours est-il que l’aspirant ne se pointa pas seul. Il était accompagné d’une bande de bons vivants, tous des connaissances ou des proches, des gens du village, puisque la nouvelle courait très vite a Cloridorme et nul n’ignorait que le père Latulipe organisait des veillées à l’emporte-pièce. La soirée allait rondement. Les violoneux du village berçaient leur archet et tapaient du pied comme des diables. La broue dans le toupet, ils fredonnaient des mélodies dansantes avec entrain et vigueur, et tous s’en réjouissaient grandement. Et passe par-ci et passe par-là, Rose Latulipe s’en donnait à cœur joie dans la mêlée. Et puis Gabriel, le fiancé de Rose, se cantonnait dans sa timidité, regardant la compagnie s’épivarder comme une andouille. Mais la jeune fille, quant à elle, ne portait pas attention à la solitude de son prétendant: elle dansait jusqu’à perdre pied. Mais ce que vous êtes sur le point de lire, chers amis, me donne le frisson rien que d’y penser. Je vous le raconte tant bien que mal, puisque mon rôle me le suggère, en espérant que vous y trouverez votre... conte ! Toujours est-il que, dans la cohue et le tapage, on entendit cogner fort à la porte de la cabane de Latulipe. Le bonhomme s’empressa de quitter la compagnie quelques instants, le temps d’aller ouvrir. Mais qui donc pouvait bien se pointer sans invitation à pareille heure ? Car chez les Latulipe, on avait oublié le coup de minuit depuis longtemps déjà. Lorsque s’entrouvrit la porte d’entrée, on vit un étrange personnage tout vêtu de noir apparaitre dans la tempête qui faisait rage. Il s’agissait d’un beau jeune homme au regard ténébreux avec de longs vêtements noirs. Latulipe nota un petit quelque chose d’étrange dans ses yeux. On eut dit que quelqu’un d’autre regardait à travers la vitre de ses pupilles.

- Que puis-je pour vous mon bon ami? lui dit Latulipe.

- Pardonnez-moi de m’imposer de la sorte à l’improviste, cher monsieur, mais, comme je m’amenais dans le coin, j’ai entendu chanter et fredonner et j’étais curieux de voir ce qui se passait chez vous. Vous semblez tous avoir beaucoup de plaisir à ce que je vois. Si ce n’est pas trop impoli, puis-je me joindre à vous, mon bon monsieur ? J’aimerais bien me divertir aussi.

- Allez donc mon garçon, dégrayez-vous tout de suite! Profitez de cette soirée en notre compagnie. Je vais demander à quelqu’un d’aller conduire votre monture à la grange.

Le bonhomme lui proposa de se dévêtir et lui servit un verre de Vespreto sur le champ. Pendant ce temps, un gringalet se chargea du cheval de l’étranger. L’animal dégageait une chaleur effroyable et était une puissante bête d’une hauteur démesurée, au poil très noir et luisant, chacun de ses pas s’enfonçait profondément dans le sol et faisait fondre la neige. Sa respiration donnait la trouille, son regard donnait la trouille, ses coups de queue donnaient la trouille. C’est vous dire! Certes, on n’avait jamais vu pareille monture aux alentours… On se dépêcha d’en informer Latulipe, car la visite de cet étranger n’annonçait rien de bon.

Curieusement, l’inconnu refusa de se dévêtir d’un poil. Les demoiselles ne manquaient pas de remarquer l’élégance de cet homme, sa prestance, ses vêtements, ses gants... Pendant que ces jeunes femmes s’attardaient à l’allure de l’invité, les hommes, quant à eux, admiraient plutôt la majestueuse monture qui se dirigeait à la grange en dégageant beaucoup de fumée.

Qu’à cela ne tienne! Les violoneux se remirent au travail immédiatement et tous reprirent les festivités, à la grande joie de Rose. Bien que le bel inconnu fit l’envie de toutes les demoiselles de la maison, c’est à notre héroïne que le jeune homme proposa une danse. Avec ses yeux perçants et menaçants, il l’avait dans sa mire. Les deux jeunes gens passèrent une bonne partie de la soirée à danser des reels et des cotillons, et la belle Rose en oublia son fiancé esseulé qui supportait tant bien que mal la veillée, accoudé contre une table. Sacré Gabriel ! Il avait beau boire un coup avec les copains, le prétendant passa le temps en jalousant le beau jeune homme qui s’était emparé de sa fiancée. Si les convives avaient tous oublié que, sur le coup de minuit, le mercredi des Cendres s’annonçait à eux, le bonhomme Latulipe, quant à lui, s’en souvenait très bien. Pendant que Rose, atteinte d’une véritable frénésie, virevoltait dans tous les sens au bras de son prince d’un soir, les douze coups d’horloge se firent entendre. Au signe du regard sérieux de Latulipe, les violoneux s’arrêtèrent immédiatement de jouer. Les fêtards se retirèrent du plancher de danse et le calme gagna la cabane. Tous s’arrêtèrent, sauf Rose qui continuait à danser sans musique, comme une folle. Latulipe lui ordonna de cesser son manège et elle s’immobilisa d’un coup sec. Elle fit un geste pour se dégager de son partenaire mais l’inconnu la prit par le bras. "Dansons encore un peu ma jolie, lui dit-il avec un sourire narquois en coin. "Rose était subjuguée par le timbre de sa voix, par les flèches que lui envoyaient ses yeux perçants et brillants. Même si elle voulut se défaire de cet effroyable personnage, elle n’eut d’autre choix que de se laisser porter, hypnotisée, voire subjuguée par le charme magique de son partenaire. Tel un fanfaron, il saisit d’une main un verre remplit d’alcool laissé sur une table et s’écria d’une voix terrible :"je bois à la santé de Satan!" Le jeune homme prit une gorgée, et au même moment, ses yeux lancèrent des faisceaux lumineux dans toute la pièce, repoussant les invités complètement effrayés. Il poussa un grondement terrifiant qui se mêla aux cris et aux hurlements des convives. Puis il se pencha vers Rose et l’embrassa violemment malgré la flamme bleue qui jaillissait de sa bouche.

Mais le bonhomme Latulipe avait la foi. Convaincu d’avoir à faire au diable en personne, il somma le gringalet d’aller chercher le curé qui, heureusement, habitait à quelques pas. Comme un brave homme, le curé arriva chez Latulipe en courant à pleines jambes. Il interpella la Bête d’un ton autoritaire :"lâche cette jeune fille, Satan ! Je te l’ordonne!" Le regard de l’étranger se tourna vers le prêtre qui lui montra aussitôt sa croix bénie pour le chasser de la maison. Le diable poussa alors un cri terrible et s’effaça de l’endroit comme un fantôme, produisant une fumée noire et épaisse. Dans la cabane de Latulipe, il était impossible de voir où était passé celui qui s’y était introduit à l’improviste, pas plus que son cheval qui avait disparu de l’écurie.

Grandes peurs et misères à Cloridorme ! Le curé du village réussit à chasser Satan des environs, mais la maison de Latulipe prit dès lors en feu. Le lendemain matin, aux aurores, on ne vit que des cendres et de la fumée qui s’échappaient encore du brasier tout chaud. Croiriez-vous, cher lecteur, chère lectrice, que le sort de la pauvre Rose diffère ici de la version originale de la légende ? Et bien oui ! Mais vous pouvez vous fier à ce qui suit parce que c’est la vérité pure, celle qui tient depuis près de trois cent ans. Gabriel, qui assista comme tous les autres à la scène d’épouvante, pratiquement mort de peur lui-même, trouva sa fiancée le lendemain. Après une nuit qui s’était éternisée tant le choc était grand, il aperçut sa fiancée vieillie de cinquante ans, la peau ridée, les cheveux cendres comme les vestiges de la cabane qui gisait au beau milieu du village. La brulure que lui avait infligée Satan était encore vive, mais le choc d’avoir fait sa connaissance la faisait souffrir encore davantage... Son esprit affaibli avait peine à se manifester ce matin-là, tant le diable l’avait écorché. Le bonhomme Latulipe avait de la difficulté à le croire, lui qui adorait tant sa fille et qui l’avait vue grandir depuis sa tendre enfance.

Quelques jours plus tard, Rose Latulipe rendit l’âme, comme si le diable la lui avait volée en l’embrassant. Mais n’allez surtout pas croire qu’elle l’avait vendue !

Les grandes légendes québécoises : redécouvrez ces histoires qui ont marqué notre imaginaire, Gaston Gendron

Cloridorme

Le forgeron guérisseur de Deschaillons

Forgeron

Il n’y a pas eu au Québec plus grand guérisseur que cet homme étrange, austère et taciturne que l’on appelait simplement Jos. Il était de petite taille, mais d’une force exceptionnelle, et, selon les personnes qui l’ont un peu fréquenté, il avait régulièrement des visions, et les anges venaient le voir de temps en temps pour lui dire comment guérir les maladies de ses concitoyens.

Sans contredit, ce forgeron un peu spécial avait des pouvoirs mystérieux. En plus de soigner les chevaux de façon peu orthodoxe, il pouvait facilement guérir les humains. Pour ce faire, Jos utilisait fréquemment les outils et matériaux dont il disposait dans son atelier. Par exemple, l’eau de forge dans laquelle il refroidissait le fer chauffé lui servait à soigner les inflammations causées par l’herbe à puce, de même que les maladies de la peau et les verrues. Cette eau pouvait même arrêter la chute des cheveux. Pour guérir des feux sauvages et les lèvres gercées, le forgeron enveloppait une hache dans de l’écorce de bouleau et la mettait ensuite au feu. Quand elle était rouge, il la refroidissait lentement dans de l’eau de forge, puis il la frottait sur les lèvres de la personne malade. Lorsqu’il devait soigner un enfant rachitique qui avait souvent des maux de ventre, Jos le couchait à plat ventre, torse nu, sur l’enclume. Avec un marteau, il frappait l’énorme pièce de métal pour la faire vibrer et plaçait l’outil sur le dos de l’enfant. Il répétait ce rituel trois fois.

Spécialiste des douleurs au dos, le forgeron conseillait à ses patients qui faisaient la file devant son atelier de boire une préparation à base de gin et de rognon de castor, puis ils leur mettait sur le dos un morceau de morue salée et leur serrait la taille avec un large ceinturon rouge. A tous les coups, le malade guérissait en quelques heures et pouvait aussitôt retourner dans ses champs.

Travaillant toujours avec des produits naturels, l’homme avait, au-dessus de son établi, des étagères remplies de pots contenant des graines de citrouille, des rhizomes de chiendent, des queues de cerises ou encore des décoctions de graines de lin ou de cheveux de blé d’Inde. On y trouvait également de la gomme de sapin pour les cataplasmes et des feuilles de fougères prêtes à être utilisées comme désinfectant. Pour soigner un rhume, il n’y avait rien de mieux qu’une potion à la crotte de mouton de sa création, et la térébenthine n’avait pas sa pareille pour soulager les hémorroïdes.

Un jour, le forgeron disparut de Deschaillons sans laisser de traces. Pas la moindre parole ni la plus petite note. Il s’était volatilisé ! On retrouva toutes ses affaires chez lui, même ses vêtements, en tas, tout près de son enclume. Les gens de la région pensèrent longtemps que Jos était en fait un ange venu des cieux pour les soulager un peu. Encore aujourd’hui, rien ne prouve le contraire, et rien ne peut expliquer son mystérieux savoir ni son étrange disparition.

Créatures fantastiques du Québec .2, Bryan Perro

Deschaillons

Le fantôme de l'érablière

Erabliere

Adapté d'un conte populaire de la Beauce.

Quand la sève des érables se remet à couler au mois de mars, on doit la recueillir pour la faire bouillir et la transformer en sirop et en sucre. Autrefois, le bouilleur montait à son bois d'érables éloigné de la ferme et il passait souvent quelques semaines tout seul dans sa cabane pour accomplir sa tâche. Et l'on sait bien que les fantômes rôdent, la nuit, dans les érablières...

Chez nous, au Québec, le printemps c'est le temps des sucres. Dès le début de mars la vie reprend dans les érablières. On rouvre les « cabanes à sucre » et l'on s'apprête à faire la récolte de la sève des érables. Pendant cinq à huit semaines le cultivateur délaisse sa ferme pour venir à l'érablière fabriquer le sirop et le sucre d'érable.

Les érablières sont souvent assez distantes des fermes. C'est pourquoi, avant l'ère de l'automobile et de la motoneige, le sucrier partait avec le cheval et la charrette vers le « haut ». Il habitait l'érablière tout le temps qu'il fallait bouillir la récolte de sève. Mais bouillir n'est pas un travail de paresseux car il faut sans cesse alimenter le feu et surveiller la cuisson du sirop. S'arrêter en cours de cuisson signifie qu'il faut tout recommencer. Les sucriers préféraient souvent partir seuls pour ne pas être dérangés et finir le plus vite possible. Mais pendant les longues nuits passées à la cabane, ils étaient parfois victimes de tours joués par des sucriers voisins ou de bien étonnantes tromperies.

Une nuit que Baptiste Riverin « bouillait », il entendit une plainte venir de la cheminée : « Oh, Ooh, Oouh ! » « C'est le vent », se dit-il.

Une heure plus tard la plainte se fit de nouveau entendre plus forte et plus longue :
« Oh, oh, hou, ohouou, houoo ... »

Baptiste alla voir dehors, mais il ne vit aucune trace de pattes ou de pas dans la neige autour de la cabane.

« Sans doute un animal pris dans un piège », se dit-il, ne voulant pas donner à la peur la chance de l'envahir. Il revint à son sirop.

Mais voilà que la plainte devint un cri et qu'elle s'accompagna d'un grattement sonore dans la cheminée.

Pauvre Baptiste sentit ses cheveux se raidir. Pris d'une grande panique, il abandonna le poêle et le sirop et se sauva à toutes jambes. Il traversa l'érablière et s'enfuit à sa maison d'en bas. Il y passa une nuit pleine de cauchemars.

Au petit matin, il fallut bien retourner à la cabane à sucre. Il s'y rendit, remit le feu en marche et recommença à bouillir. La nuit venue la plainte sinistre se fit de nouveau entendre : « Oh, oh, ohouh... »

Baptiste Riverin, il faut le dire, n'avait pas la conscience tranquille. Tout au fond de lui-même il pensait : « C'est la voix du fantôme de Philémon Gamache. Je la reconnais ! »

Philémon Gamache était un voisin à qui il devait une somme d'argent assez rondelette. Mais le Philémon était mort pendant l'hiver et Baptiste s'était cru libéré de sa dette. Ce soir il comprit que le fantôme de Philémon ne le laisserait pas faire son sirop en paix. Baptiste essaya de travailler malgré les bruits ; les plaintes et les grattements se firent de plus en plus lugubres et persistants. Le fantôme de Philémon Gamache allait arriver par la cheminée et lui réclamer son dû !

N'y tenant plus, Baptiste se sauva encore une fois dans la nuit froide, vers le village où le protégeraient les vivants. Le lendemain, avant de remonter à l'érablière, Baptiste Riverin s'en alla chez la veuve Gamache payer sa dette sans en parler à personne. La veuve, ravie, accepta l'argent avec joie car elle en avait bien besoin et Baptiste, penaud, reprit le chemin de l'érablière. Il ralluma le feu, continua la cueillette de la sève et ne s'arrêta plus de bouillir jusqu'à la fin de la saison des sucres.

Il n’entendit plus ni plaintes ni grattements dans la cheminée. Puis, quand la sève s'arrêta de couler, Baptiste rangea ses seaux, ses goudrelles et ses chaudrons. Il entassa les bidons de sirop dans la charrette et vérifia l'état de la corde de bois.

Puis, en dernier lieu, le feu étant tout à fait éteint, il démonta le tuyau de la cheminée.

Savez-vous ce qu'il trouva dans le tuyau ?

Un gros hibou mort !

Mille ans de contes, Québec, Cécile Gagnon

Le fantôme de l'avare

Avare

Vous connaissez tous, vieillards et jeunes gens, l’histoire que je vais vous raconter. La morale de ce récit, cependant, ne saurait vous être redite trop souvent, et rappelez-vous que, derrière la légende, il y a la leçon terrible d’un Dieu vengeur qui ordonne au riche de faire la charité.

C’était la veille du jour de l’an de grâce 1858.

Il faisait un froid sec et mordant.

La grande route qui longe la rive nord du Saint-Laurent de Montréal à Berthier était couverte d’une épaisse couche de neige, tombée avant la Noël.

Les chemins étaient lisses comme une glace de Venise. Aussi, fallait-il voir si les fils des fermiers à l’aise des paroisses du fleuve se plaisaient à « pousser » leurs chevaux fringants, qui passaient comme le vent au son joyeux des clochettes de leurs harnais argentés.

Je me trouvais en veillée chez le père Joseph Hervieux, que vous connaissez tous. Vous savez aussi que sa maison, qui est bâtie en pierre, est située à mi-chemin entre les églises de Lavaltrie et de Lanoraie. Il y avait fête ce soir-là chez le père Hervieux. Après avoir copieusement soupé, tous les membres de la famille s’étaient rassemblés dans la grande salle de réception.

Il est d’usage que chaque famille canadienne donne un festin au dernier jour de chaque année, afin de pouvoir saluer, à minuit, avec toutes les cérémonies voulues, l’arrivée de l’inconnue qui nous apporte à tous une part de joies et de douleurs.

Il était dix heures du soir.

Les bambins, poussés par le sommeil, se laissaient les uns après les autres rouler sur les robes de buffle qui avaient été étendues autour de l’immense poêle à fourneau de la cuisine.

Seuls les parents et les jeunes gens voulaient tenir tête à l’heure avancée et se souhaiter mutuellement une bonne et heureuse année avant de se retirer pour la nuit.

Une fillette vive et alerte, qui voyait la conversation languir, se leva tout à coup et, allant déposer un baiser respectueux sur le front du grand-père de la famille, vieillard presque centenaire, lui dit d’une voix qu’elle savait irrésistible :

- Grand-père, redis nous, je t’en prie, l’histoire de la rencontre avec l’esprit de ce pauvre Jean-Pierre Beaudry – que Dieu ait pitié de son âme – que tu nous racontas l’an dernier, à pareille époque. C’est une histoire bien triste, il est vrai, mais ça nous aidera à passer le temps en attendant minuit.

- Oh ! oui ! Grand-père, l’histoire du jour de l’An, répétèrent en chœur les convives, qui étaient presque tous les descendants du vieillard.

- Mes enfants, reprit d’une voix tremblotante l’aïeul aux cheveux blancs, depuis bien longtemps, je vous répète, à la veille de chaque jour de l’An, cette histoire de ma jeunesse. Je suis bien vieux et, peut-être pour la dernière fois, vais-je vous la redire ici ce soir. Soyez tout attention, et remarquez surtout le châtiment terrible que Dieu réserve à ceux qui, en ce monde, refusent l’hospitalité au voyageur en détresse.

Le vieillard approcha son fauteuil du poêle, et, ses enfants ayant fait cercle autour de lui, il s’exprima en ces termes :

- Il y a de cela soixante-dix ans aujourd’hui. J’avais vingt ans alors.

Sur l’ordre de mon père, j’étais parti de grand matin pour Montréal afin d’aller y acheter divers objets pour la famille ; entre autres, une magnifique dame-jeanne de jamaïque, qui nous était absolument nécessaire pour traiter dignement les amis à l’occasion du Nouvel An. A trois heures de l’après-midi, j’avais fini mes achats, et je me préparais à reprendre la route de Lanoraie. Mon « brelot » était assez bien rempli, et comme je voulais être de retour chez nous avant neuf heures, je fouettai vivement mon cheval qui partit au grand trot. A cinq heures et demie, j’étais à la traverse du bout de l’île, et j’avais jusqu’alors fait bonne route. Mais le ciel s’était couvert peu à peu et tout faisait présager une forte bordée de neige. Je m’engageai sur la traverse, et avant que j’eusse atteint Repentigny il neigeait à plein temps. J’ai vu de fortes tempêtes de neige durant ma vie, mais je ne m’en rappelle aucune qui fût aussi terrible que celle-là. Je ne voyais ni ciel ni terre, et à peine pouvais-je suivre le « chemin du roi » devant moi, les « balises » n’ayant pas encore été posées, comme l’hiver n’était pas avancé. Je passai l’église Saint-Sulpice à la brunante ; mais bientôt, une obscurité profonde et une poudrerie qui me fouettait la figure m’empêchèrent complètement d’avancer. Je n’étais pas bien certain de la localité où je me trouvais, mais je croyais alors être dans les environs de la ferme du père Robillard. Je ne crus pouvoir faire mieux que d’attacher mon cheval à un pieu de la clôture du chemin, et de me diriger à l’aventure à la recherche d’une maison pour y demander l’hospitalité en attendant que la température fût apaisée. J’errai pendant quelques minutes et je désespérais de réussir, quand j’aperçus, sur la gauche de la grande route, une masure à demi ensevelie dans la neige et que je ne me rappelais pas avoir encore vue. Je me dirigeai en me frayant avec peine un passage dans les bancs de neige vers cette maison que je crus tout d’abord abandonnée. Je me trompais cependant ; la porte en était fermée, mais je pus apercevoir par la fenêtre la lueur rougeâtre d’un bon feu de « bois franc » qui brûlait dans l’âtre. Je frappai et j’entendis aussitôt les pas d’une personne qui s’avançait pour m’ouvrir. Au « Qui est là ? » traditionnel, je répondis en grelottant que j’avais perdu ma route, et j’eus le plaisir immédiat d’entendre mon interlocuteur lever le loquet. Il n’ouvrit la porte qu’à moitié, pour empêcher autant que possible le froid de pénétrer dans l’intérieur, et j’entrai en secouant mes vêtements qui étaient couverts d’une couche épaisse de neige.

« Soyez le bienvenu », me dit l’hôte de la masure en me tendant une main qui me parut brûlante, et en m’aidant à me débarrasser de ma ceinture fléchée et de mon capot d’étoffe du pays.

Je lui expliquais en peu de mots la cause de ma visite, et après l’avoir remercié de son accueil bienveillant, et après avoir accepté un verre d’eau-de-vie qui me réconforta, je pris place sur une chaise boiteuse qu’il m’indiqua de la main au coin du foyer. Il sortit en me disant qu’il allait sur la route quérir mon cheval et ma voiture, pour les mettre sous une remise, à l’abri de la tempête.

Je ne pus m’empêcher de jeter un regard curieux sur l’ameublement original de la pièce où je me trouvais. Dans un coin, un misérable banc-lit, sur lequel était étendue une peau de buffle, devait servir de couche au grand vieillard aux épaules voutées qui m’avait ouvert la porte. Un ancien fusil, datant probablement de la domination française, était accroché aux soliveaux en bois brut qui soutenaient le toit en chaume de la maison. Plusieurs têtes de chevreuils, d’ours et d’orignaux étaient suspendues comme trophées de chasse aux murailles blanchies à la chaux. Près du foyer, une bûche de chêne solitaire semblait être le seul siège vacant que le maitre de céans eut à offrir au voyageur qui, par hasard, frappait à sa porte pour lui demander l’hospitalité.

Je me demandais quel pouvait être l’individu qui vivait ainsi en sauvage en pleine paroisse de Saint-Sulpice, sans que j’en eusse jamais entendu parler ? Je me torturais en vain la tête, moi qui connaissais tout le monde, depuis Lanoraie jusqu’à Montréal, mais je n’y voyais goutte. Sur ces entrefaites, mon hôtes rentra et vint, sans dire mot, prendre place vis-à-vis de moi, à l’autre coin de l’âtre.

« Grand merci de vos bons soins, luis dis-je, mais voudriez-vous bien m’apprendre à qui je dois une hospitalité aussi franche. Moi qui connais la paroisse de Saint-Sulpice comme mon « pater », j’ignorais jusqu’aujourd’hui qu’il y eut une maison située à l’endroit qu’occupe la vôtre, et votre figure m’est inconnue. »

En disant ces mots, je le regardais en face, et j’observais pour la première fois les rayons étranges que produisaient les yeux de mon hôte ; on aurait dit les yeux d’un chat sauvage. Je reculais instinctivement mon siège en arrière, sous le regard pénétrant du vieillard qui me regardait en face, mais qui ne me répondait pas.

Le silence devenait fatigant, et mon hôte me fixait toujours de ses yeux brillants comme les tisons du foyer.

Je commençais à avoir peur.

Rassemblant tout mon courage, je lui demandais de nouveau son nom. Cette fois, ma question eut pour effet de lui faire quitter son siège. Il s’approcha de moi à pas lents, et posant sa main osseuse sur mon épaule tremblante, il me dit d’une voix triste comme le vent qui gémissait dans la cheminée :

« Jeune homme, tu n’as pas encore vingt ans, et tu demandes comment il se fait que tu ne connaisses pas Jean-Pierre Beaudry, jadis le richard du village. Je vais te le dire, car ta visite ce soir me sauve des flammes du purgatoire où je brûle depuis cinquante ans sans avoir jamais pu jusqu’aujourd’hui remplir la pénitence que Dieu m’avait imposée. Je suis celui qui jadis, par un temps comme celui-ci, avait refusé d’ouvrir sa porte à un voyageur épuisé par le froid, la faim et la fatigue. »

Mes cheveux se hérissaient, mes genoux s’entrechoquaient, et je tremblais comme la feuille de peuplier pendant les fortes brises du Nord. Mais le vieillard, sans faire attention à ma frayeur, continuait toujours d’une voix lente :

« Il y a de cela cinquante ans. C’était bien avant que l’Anglais eût jamais foulé le sol de ta paroisse natale. J’étais riche, bien riche, et je demeurais alors dans la maison où je te reçois, ici, ce soir. C’était la veille du jour de l’An, comme aujourd’hui, et seul près de mon foyer, je jouissais du bien-être d’un abri contre la tempête et d’un bon feu qui me protégeait contre le froid qui faisait craquer les pierres des murs de ma maison. On frappa à ma porte, mais j’hésitais à ouvrir. Je craignais que ce ne fût quelque voleur, qui, sachant mes richesses, ne vint pour me piller, et qui sait, peut-être m’assassiner.

« Je fis la sourde oreille et, après quelques instants, les coups cessèrent. Je m’endormis bientôt, pour ne me réveiller que le lendemain, au grand jour, au bruit infernal que faisaient deux jeunes hommes du voisinage qui ébranlaient ma porte à grands coups de pied. Je me levai à la hâte pour aller les châtier de leur impudence, quand j’aperçus, en ouvrant la porte, le corps inanimé d’un jeune homme qui était mort de froid et de misère sur le seuil de ma maison. J’avais, par amour de mon or, laissé mourir un homme qui frappait à ma porte, et j’étais presque un assassin. Je devins fou de douleur et de repentir.

« Après avoir fait chanter un service solennel pour le repos de l’âme du malheureux, je divisai ma fortune entre les pauvres des environs, en priant Dieu d’accepter ce sacrifice en expiation du crime que j’avais commis. Deux ans plus tard, je fus brûlé vif dans ma maison et je dus aller rendre compte à mon créateur de ma conduite sur cette terre que j’avais quitté d’une manière si tragique. Je ne fus pas trouvé digne du bonheur des élus et je fus condamné à revenir, à la veille de chaque nouveau jour de l’An, attendre ici qu’un voyageur vint frapper à ma porte, afin que je puisse lui donner cette hospitalité que j’avais refusée de mon vivant à l’un de mes semblables. Pendant cinquante hivers, je suis venu, par l’ordre de Dieu, passer ici la nuit du dernier jour de chaque année, sans que jamais un voyageur dans la détresse ne vint frapper à ma porte. Vous êtes enfin venu ce soir, et Dieu m’a pardonné. Soyez à jamais béni d’avoir été la cause de ma délivrance des flammes du purgatoire, et croyez que, quoi qu’il vous arrive ici-bas, je prierai Dieu pour vous là-haut. »

Le revenant, car c’en était un, parlait encore quand, succombant aux émotions terribles de frayeur et d’étonnement qui m’agitaient, je perdis connaissance…

Je me réveillais dans mon brelot, sur le chemin du roi, vis-à-vis de l’église de Lavaltrie.

La tempête s’était apaisée et j’avais sans soute, sous la direction de mon hôte de l’autre monde, repris la route de Lanoraie.

Je tremblais encore de frayeur quand j’arrivais ici à une heure du matin et que je racontais aux convives assemblés la terrible aventure qui m’était arrivée.

Mon défunt père – que Dieu ait pitié de son âme – nous fit mettre à genoux et nous récitâmes le rosaire, en reconnaissance de la protection spéciale dont j’avais été trouvé digne, pour faire sortir ainsi des souffrances du purgatoire une âme en peine qui attendait depuis si longtemps sa délivrance. Depuis cette époque, jamais nous n’avons manqué, mes enfants, de réciter, à chaque anniversaire de ma mémorable aventure, un chapelet en l’honneur de la Vierge Marie, pour le repos des âmes des pauvres voyageurs qui sont exposés au froid et à la tempête.

Quelques jours plus tard, en visitant Saint-Sulpice, j’eus l’occasion de raconter mon histoire au curé de cette paroisse. J’appris de lui que les registres de son église faisant en effet mention de la mort tragique d’un nommé Jean-Pierre Beaudry, dont les propriétés étaient alors situées où demeurent maintenant le petit pierre Sansregret. Quelques esprits forts ont prétendu que j’avais rêvé sur la route. Mais où avais-je donc appris les faits et les noms qui se rattachaient à l’incendie de la ferme du défunt Beaudry, dont je n’avais jusqu’alors jamais entendu parler ? M. le curé de Lanoraie, à qui je confiais l’affaire, ne voulut rien en dire, si ce n’est que le doigt de Dieu était en toutes choses et que nous devions bénir son saint nom.

Le maitre d’école avait cessé de parler depuis quelques moments, et personne n’avait osé rompre le silence religieux avec lequel on avait écouté le récit de cette étrange histoire. Les jeunes filles émues et craintives se regardaient timidement sans oser faire un mouvement, et les hommes restaient pensifs en réfléchissant à ce qu’il y avait d’extraordinaire et de merveilleux dans cette apparition surnaturelle du vieil avare, cinquante ans après son trépas.

Le père Montépel fit enfin trêve à cette position gênante en offrant à ses hôtes une dernière rasade de bonne eau-de-vie de la Jamaïque en l’honneur du retour heureux des voyageurs.

On but cependant cette dernière santé avec moins d’entrain que les autres, car l’histoire du maitre d’école avait touché la corde sensible dans le cœur du paysan franco-canadien : la croyance en tout ce qui touche aux histoires surnaturelles et aux revenants.

Après avoir salué cordialement le maitre et la maitresse de céans et s’être redit mutuellement de sympathiques bonsoirs, garçons et filles reprirent le chemin du logis. Et, en parcourant la grande route qui longe la rive du fleuve, les fillettes serraient en tremblotant le bras de leurs cavaliers, en entrevoyant se balancer dans l’obscurité la tête des vieux peupliers et en entendant le bruissement des feuilles, elles pensaient encore, malgré les doux propos de leurs amoureux, à la légende du « Fantôme de l’avare ».

Les grandes légendes du Québec : un tour du Québec en 25 récits traditionnels

Lanoraiiie

Les arbres qui saignent

Arbree

Selon bon nombre d’histoires rapportées par des bûcherons de l’Abitibi, il y aurait, dans les forêts du Nord du Québec, des arbres ayant la particularité de saigner lorsqu’ils sont frappés d’un coup de hache. De ces entrailles s’écoulerait un liquide épais et visqueux qui s’apparente au plasma humain.

L’histoire la plus étrange à ce sujet est celle d’un homme qui fut engagé dans un camp de bûcherons situé bien au Nord de La Sarre. L’énergumène, qui préférait de loin boire du rhum plutôt que travailler, prenait plaisir à blesser les arbres inutilement et à tendre des pièges aux animaux. Il blasphémait sans cesse et avait une si haute estime de lui-même qu’il méprisait les esprits de la forêt. Un jour qu’il coupait du bois dans une cédrière, ses compagnons l’entendirent hurler comme un goret que l’on égorge. Ils accoururent et assistèrent alors à un combat insolite entre le détestable bûcheron et un être invisible. L’homme recevait des coups au corps, à la figure et derrière la tête, mais était incapable de voir son agresseur. Terrorisé, il appelait à l’aide. Mais une force invisible empêcha les autres bûcherons de s’approcher de la cédrière. Après quelques minutes de cette batille surnaturelle, les arbres se penchèrent sur le malheureux et des branches l’étranglèrent devant ses camarades ahuris. C’est alors que du sang se mit à couler sur le tronc de tous les arbres de la forêt, semant une grande panique parmi les témoins. Tels des lapins apeurés, tous déguerpirent, abandonnant le camp. On raconte que plus aucun bûcheron ne revint jamais dans les parages, ce qui permit à cette partie de la forêt de croitre en paix pendants de nombreuses années.

Bien que ce genre de phénomène n’ait jamais été expliqué, les légendes amérindiennes parlent régulièrement des interventions du grand dieu Windigo qui veille sur la forêt. Les arbres qui saignent seraient un avertissement afin que cesse la surexploitation de la nature par l’homme blanc. Pendant de longues années, le dieu des esprits de la nature aurait réussi, de cette façon, à effrayer assez de bûcherons pour éviter la déforestation. Cependant, les machines qui parcourent aujourd’hui le territoire ne connaissent pas la peur et demeurent aveugles et sourdes aux avertissements du Windigo.

Créatures fantastiques du Québec. 2, Bryan Perro

Lasarre

Les autres hommes

Autres hommes

Donne un peu, tu recevras beaucoup.

Les Mauvais-Esprits prennent toujours un aspect incongru et leurs méfaits sont innombrables. Toujours redoutables, ils cachent une kyrielle de maléfices que le Peau-rouge craint et s’ingénie à combattre.

L’orage, cause d’inondations, représente un réel danger. La foudre précédée d’éclairs allume les feux de forêt. Le tonnerre assourdissant terrorise car il est la voix menaçante des Mauvais-Esprits de l’Univers. La bourrasque tumultueuse détruit les moissons et fait fuir le gibier. Pour éviter ces calamités avant qu’elles ne se produisent, il faut les neutraliser en utilisant bien souvent la ruse.

Les offrandes destinées à apaiser les éléments sont courantes dans les communautés Peaux-Rouges, et leurs membres sacrifient à leur façon pourvu qu’un Bon-Esprit leur en donne les moyens, ou les prévienne d’un danger imminent.

A ce sujet, une légende recueillie dans la tribu des Mandan met en évidence une curieuse représentation du déluge de l’Ancien Testament de la religion chrétienne. Tous les ingrédients sont présents : la montée des eaux, le rameau d’olivier et Noé, représenté par un homme à la peau recouverte d’argile blanche.

Cette étrange affaire se passa dans la tribu des Mandan, à la Lune-de-la-Belle-Saison, en cette deuxième partie du jour où le soleil se couche derrière la haute montagne.

Tout laissait croire que cette journée serait semblable aux autres quand soudain les chiens se prirent à hurler.

Un guetteur arriva et se mit à crier :

- Voici le Seul-Homme ! Il vient par la grande plaine !

Des hurlements fusèrent de partout et chacun se prépara comme pour un combat. Les chiens furent muselés et les poneys parqués dans les enclos. Les guerriers saisirent leur arc et leurs flèches et se postèrent sur une ligne en direction du soleil couchant. Les femmes, les enfants et les vieillards grimpèrent sur le toit des cabanes pour assister à la rencontre, afin de mieux la commenter plus tard.

A l’extrémité de la plaine là ou l’herbe se couche sous le vent, apparut un être extraordinaire. A n’en pas douter, il s’agissait d’un homme, mais il ne ressemblait en rien aux autres Mandan. Bien qu’il courut sur ses deux jambes comme les autres Indiens, son corps à peu près nu, entièrement recouvert d’argile, laissait croire qu’il avait la peau blanche. Sur la tête, il portait deux dépouilles de corbeaux, et quatre peaux de loup blanc pendaient sur ses épaules.

Bientôt, cette créature franchit les limites du camp et se dirigea vers la cabane centrale. Le chef de la tribu en sortit et lui demanda :

- Qui es-tu donc pour avoir cette apparence, ne vois-tu pas que tu effraies les chiens, les chevaux et les enfants ?

La créature répondit :

- Je suis Nu-Mohk-Muck-a-Nah, le Seul-Homme! Je vous apporte la Nouvelle.

Rassurés, les femmes et les vieillards descendirent des toits des habitations. Tous s’approchèrent. Tous voulurent toucher le Seul-Homme afin d’imprégner les doigts de l’argile qui recouvrait sa peau, car ils savaient qu’il s’agissait d’une substance sacrée.

Le Seul-Homme ne parlait pas le langage des Mandan, cependant chacun le comprenait tant les sons sortant de sa bouche étaient mélodieux. Le sorcier voulut l’inviter sous sa hutte. Mais le Seul-Homme prit un air dégouté et décréta :

- Je suis une créature habituée à plus de confort. Il m’est impossible de m’asseoir en un tel lieu. Cette cabane sent mauvais et le sol en est si dur que mon derrière en deviendrait calleux.

- Qu’importe, décida le sorcier, nous allons nettoyer cet abris en ton honneur et le rendre plus vivable.

Le sorcier appela ses femmes. Celles-ci réunirent des branches de saule et balayèrent. Puis, elles répandirent des fougères sur le sol et tapissèrent les murs de plantes aromatiques.

Après avoir minutieusement inspecté les lieux, le sorcier interrogea :

- Es-tu enfin satisfait ou veux-tu que nous te bâtissions une autre maison ?

- Celle-ci conviendra, dit le Seul-Homme.

Et il entra sous la hutte du sorcier.

Le Seul-Homme fuma trois pipes. Lorsque le tabac de la dernière fut entièrement consumé, il décida :

- Je peux maintenant procéder à la Grande-Médecine. Amassez des crânes d’hommes et de bisons sur la place du village. Allumez aussi un feu avec des branches de chêne; cependant, je vais aller faire un tour, car je ne puis assister à ces vils préparatifs.

Ce travail dura toute la nuit, tandis que le Seul-Homme se rendait de hutte en hutte. Devant chacun d’elles, il appelait les occupants, qui sortaient et lui demandaient:

- Que veux-tu, toi, l’étranger, qui a une si bizarre couleur de peau? Es-tu fou pour importuner les gens de ce village en pleine nuit ? Tu épouvantes nos jeunes et tu inquiètes nos chiens et nos poneys.

A tous, le Seul-Homme répondit :

- Une terrible catastrophe a eu lieu de l’autre côté de la montagne. Il a plu si abondamment que l’eau a recouvert la terre. Je suis le seul homme sauvé du déluge. Une grenouille m’avait prévenu du cataclysme et m’avait engagé à construire un grand canoë. Grâce à cette embarcation j’ai pu venir jusqu’ici. Sortez vite de vos cabanes et offrez-moi un outil aiguisé. Il sera sacrifié à l’eau. C’est avec un objet tranchant que j’ai construit le grand canoë.

Toute la nuit, les Mandan réunirent couteaux, haches et lances, et les déposèrent dans la hutte du sorcier. Le soir, la cabane était si encombrée que le sorcier dut aller se réfugier chez sa troisième femme. Heureusement, elle vivait chez des parents qui avaient une maison à l’orée du village.

A la fin de cette fameuse nuit, personne n’aurait pu dire où avait dormi le Seul-Homme. La veille, dès la tombée du soir, chacun avait rentré ses chiens à l’intérieur de sa cabane et s’était barricadé. Un animal ayant passé la nuit dehors aurait pu apprendre à un être humain où avait reposé le Seul-Homme.

Au matin, le personnage extraordinaire plaça les Mandan en cercle autour de lui et leur dit :

- J’espère que personne n’a omis de placer un outil tranchant dans la hutte du sorcier. Si un seul d’entre vous ne l’a pas fait, le déluge franchira le sommet de la montagne, l’eau inondera entièrement cette contrée et aucun de vous n’en réchappera.

Les Indiens s’écrièrent qu’aucun d’eux n’avait pêché par avarice.

- Dans ce cas, vous ne risquez rien et c’est bien ainsi, conclut le Seul-Homme.

Puis, il exhiba un rameau et le tendit au sorcier.

- Cette branche d’olivier vous rappellera mes paroles. Je l’ai cueillie de l’autre côté de la montagne avant la montée des eaux.

Le sorcier rangea précieusement la plante-médecine sous sa hutte. Le Seul-Homme dit encore :

- Il me faut partir maintenant. Placez sur mon dos les armes destinées à l’offrande. Je dois aller au plus vite les jeter dans la mer pour apaiser les éléments.

Le tas était impressionnant. Une lune fut nécessaire afin de fixer solidement le chargement.

À la fin du dernier jour, il ne resta plus aucun objet aiguisé dans la hutte du sorcier. Le Seul-Homme portait sur ses épaules le poids de trois bisons. Mais la créature à la peau recouverte d’argile était très résistante : dans ses veines coulait la sève du sequoia géant !

- Tout est-il bien en placé ? demanda-t-il une dernière fois. Je ne dois absolument rien perdre en route.

Le sorcier affirma que chaque objet était parfaitement arrimé.

- C’est bon ! dit alors le Seul-Homme.

Et, de sa longue et souple foulée, il s’éloigna...

Lorsqu’il ne fut plus qu’un petit point à l’horizon, le sorcier déclara :

- Mes frères, la fête est terminée. Nous la renouvellerons tous les ans à pareille époque pour commémorer le passage du Seul-Homme dans notre tribu.

Depuis, l’évènement est devenu une grande cérémonie qui donne lieu à de fastueuses réjouissances. Car aucun des Indiens n’avait menti. Tous avaient participé à l’offrande et jamais le déluge ne s’abattit sur la contrée.

Mille ans de contes, Indiens d'Amérique du Nord, Ka-Be-Mud-Be et William Camus

La Dame blanche

Dame blanche 1

Vaporeuse et translucide, la Dame blanche est une vision féminine se manifestant surtout près des cascades, des cataractes ou des rapides. Au Québec, la plus célèbre est sans doute celle de la chute de Montmorency, que l’on peut apercevoir au lever du jour sur la petite étendue d’eau qui jouxte le bouillonnement de la rivière. Des témoins la décrivent à tort comme s’il s’agissait d’un fantôme, dont le corps serait entièrement composé de fines gouttelettes d’eau. Or, loin d’être un spectre, la Dame blanche est avant tout un esprit protecteur des hommes et de la Nature, et elle utilise l’embrun des cascades pour se rendre visible.

On attribue sa présence à la légende des futurs époux Mathilde et Louis qui, en 1759, furent séparés l’un de l’autre au cours de l’attaque en force de navires britanniques. Louis fut tué en essayant d’échapper à ses ravisseurs. Mathilde, folle de douleur, se lança alors dans la chute de Montmorency, vêtue de sa robe de mariée. Depuis ce jour, il est dit que l’âme de la jeune amoureuse y est prisonnière et qu’il est possible de la voir à travers les brouillements de l’eau.

On croit aussi que quiconque a le malheur de toucher sa robe de bruine s’expose à une mort terrible au cours des jours suivants. Toutefois, elle est reconnue pour son caractère docile et maternel, et la créature n’hésitera jamais à venir en aide aux infortunés qui croisent sa route.

Créatures fantastiques du Québec .1, Bryan Perro

Montmorency

Créatures légendaires du Québec

Le folklore québécois regorge de créatures et de monstres de légendes vivant au coeur des forêts ou au fond des nombreux lacs de ce coin de pays... En voici quelques exemples.

Certaines créatures sortent directement du folklore autochtone ou en sont un dérivé, c'est le cas par exemple du célèbre Windigo, esprit de la Nature, ou du Bonhomme sept-heure, dérivé du Croquemitaine. 

Au Québec se trouvent de nombreux lacs, il n'est donc pas étonnant que certains d'entre eux soient le terrain d'apparitions plus ou moins mystérieuses. Parmi les plus célèbres, on peut citer les monstres des lacs Pohénégamook, Memphrémagog ou encore de Saint-Nérée

Si on cherche bien dans les régions québécoises, on peut peut-être avoir la chance de rencontrer des sirènes dans le golfe du Saint-Laurent, des lutins et des gnomes dans les plaines, mais aussi des créatures plus mystérieuses dans les forêts, comme les Jacks mistigris ou encore la terrible Hère...

Des contes & légendes pour expliquer les phénomènes naturels

La Nature occupe une place importante au Québec, et le climat peut y être rude. Certaines légendes tentent de donner une explication à des phénomènes qui ne pouvaient pas être compris par la science à une certaine époque. 

C'est le cas d'un grand nombre de légendes autochtones. La légende de La Grande Ourse, par exemple, donne une explication très poétique à la présence des étoiles dans le ciel, ainsi qu'à la couleur rouge des feuilles en automne. La légende des Autres hommes donne un aperçu des croyances amérindiennes pour éviter une catastrophe naturelle telle qu'une inondation. 

Dans un autre registre, la légende du Rocher Percé nous explique l'origine de la forme particulière d'une pierre, tout comme dans la légende de La griffe du Diable

Des contes & légendes pour appuyer l'autorité de l'Église

Historiquement parlant, la religion a une place très importante au Québec. L'Eglise catholique a joué un rôle majeur dans la construction du Québec et l'influence de la religion se reflétait dans tous les domaines aux débuts de la société québécoise. 

Les contes et légendes témoignent de cette autorité religieuse : ils sont souvent un prétexte pour transmettre une morale ou un avertissement d'ordre spirituel. C'est le cas de la légende de Rose Latulipe, par exemple : ici, on nous avertit que si l'on ne respecte pas le calendrier religieux et que l'on s'amuse un jour de Carême, c'est le Diable que l'on attire et qui nous punira. C'est le même principe dans la légende du Loup garou : alors qu'un homme s'obstine à travailler le jour de Noël, il se voit transformer en une monstrueuse créature. 

Certains contes et légendes sont aussi là pour rappeler au pélerin qu'il doit suivre les principes dictés par la Bible : dans la légende du Fantôme de l'avare, un homme peu charitable et trop pingre est puni de ses péchés et ne peut reposer en paix qu'au bout de 50 ans, lorsqu'il a enfin la possibilité de réparer ses erreurs. 

La légende des Jacks mistigris est un avertissement pour celui qui ne pratique pas correctement les préceptes de la religion. Quand à la légende du Sauvage mouillé, elle met en garde quiconque s'en prendrait à un homme d'Eglise...

Des contes & légendes qui nous renseignent sur le mode de vie des populations et sur l'histoire du Québec

De région en région, les populations s'adaptent à leur environnement. Ainsi on peut trouver dans le monde différentes façons de parler, de cuisiner, différents métiers et différentes croyances. 

En ce qui concerne le Québec, les contes et légendes de ce coin de pays peuvent nous apporter des détails intéressants sur le mode de vie de ses habitants, et surtout sur leur histoire et leur façon de penser. 

On en apprendra par exemple beaucoup sur les populations autochtones présentes bien avant l'arrivée des colons, comme c'est le cas dans Les squelettes du lac des Tombeaux. Dans cette légende on commence à comprendre quelle influence a pu avoir l'arrivée des européens en Amérique, et on peut penser qu'elle fait transparaître le ressenti encore vif des ancêtres des Premières Nations face à leurs envahisseurs. Les tensions entre colons et autochtones sont également retranscrites dans la légende du Sauvage mouillé, ou dans celle du Bateau fantôme de Gaspé

Certaines légendes se déroulent sur un fond historique : c'est le cas de la légende du Rocher Percé, qui nous donne quelques indices de fond sur la vie des premiers colons et sur la conquête de l'Amérique. La légende du Pont de Québec, dit Pont du Diable, est particulièrement intéressante car elle utilise des faits historiques avérés, la difficile construction du pont de Québec et les multiples accidents qu'elle a engendré, afin d'asseoir un peu plus l'autorité de l'Eglise. La légende de La Corriveau est l'exemple type d'un événement historique sordide - une femme qui assassine ses époux les uns après les autres - devenu légende par sa violence et les mystères qui l'entourent. 

La plupart des contes et légendes nous renseignent cependant sur la vie même des premiers québécois, sur leur folklore, leurs croyances et leurs métiers. La légende de La Griffe du Diable nous en dit long sur l'ambiance qui régnait dans les petits villages, notamment sur les mésententes entre les habitants. La légende du Trésor du buttereau donne, elle, une image plus positive des habitants de ces petits villages, plus solidaires entre eux. La légende du Forgeron guérisseur de Deschaillons nous apprend que les québécois des temps passés savaient trouver des moyens alternatifs pour se soigner, en allant puiser dans la nature.

La légende de Rose Latulipe nous renseigne sur la façon dont les gens des siècles derniers pouvaient s'amuser dans les petits villages, quels moyens ils trouvaient pour "tuer le temps" durant les longs hivers. C'est aussi le cas de la légende de La chasse-galerie, où l'on apprend qu'un prétendant était prêt à beaucoup pour pouvoir danser avec sa "blonde", y compris à vendre son âme au Diable... La légende de la Tour de Trafalgar nous explique comment les jeunes d'antan se faisaient la cour, la façon dont les mariages s'arrangeaient, et nous renseigne sur la fidélité dont les futurs époux pouvaient faire preuve. C'est également le cas de la légende de la Dame Blanche

La Chasse-Galerie nous transmet également des informations sur le difficile travail des ouvriers et des bûcherons dans des conditions hivernales extrêmes, comme c'est le cas dans la légende des Arbres qui saignent. La légende du Fantôme de l'érablière nous apprend de quelle manière et à quel endroit étaient préparées les spécialités culinaires du Québec. La légende du Fantôme de l'avare nous explique comment on se déplaçait au Québec dans le temps, et elle nous fait part de la dangerosité du climat, et des pièges que peut tendre l'hiver canadien.